30.
Arrivons maintenant à cette partie sur laquelle Alype paraît avoir encore quelque doute : et tu l'as avoué, quand les académiciens soutiennent que le sage ne sait rien, leur sentiment est appuyé sur de nombreuses et puissantes raisons : tu as néanmoins ébranlé ce sentiment en nous faisant avouer que le sage connaît la sagesse. Or, c'est ce qui doit déterminer davantage à refuser son assentiment. Il en résulte, en effet, qu'il n'est aucune proposition, si multipliées et si habiles que soient les preuves qui la soutiennent, à laquelle on ne puisse, avec de l'esprit, opposer des arguments aussi forts et plus forts peut-être. Voyons d'abord ce qui t'embarrasse si finement et si prudemment. Et de là suit que l'académicien, lorsqu'il est vaincu, est vainqueur. Oh ! plaise à Dieu qu'il soit vaincu ! Car avec toutes les subtilités de la Grèce, jamais il ne pourra me quitter vaincu et vainqueur en même temps.
Je le déclare encore, si l'on ne peut rien trouver pour combattre ce que je viens de dire, j'avouerai de bon coeur ma défaite; car nous ne nous disputons pas ici pour acquérir de la gloire, mais pour trouver la vérité. C'est assez pour monde franchir de quelque manière que ce soit cette montagne qui arrête ceux qui veulent entrer dans la philosophie; elle les retient dans je ne sais quels réduits ténébreux en les menaçant de ne leur montrer que des. obscurités dans la philosophie tout entière : elle ne leur permet pas d'espérer y découvrir aucun point lumineux. Or, je n'ai plus rien à désirer, dès qu'il est probable que le sage connaît quelque chose; car, s'il pouvait paraître vraisemblable que le sage dût suspendre son assentiment, c'est uniquement parce qu'il était vraisemblable qu'il ne pouvait rien connaître. Ce. point écarté, du moment qu'on nous accorde que le sage connaît la sagesse, il n'y a pas de raison pour que le sage ne donne pas aussi créance au moins à la sagesse elle-même. Car il est hors de doute qu'il serait plus ;prodigieux de voir le sage ne pas admettre la sagesse que de le voir l'ignorer.