36.
Je ne parle point des homicides, des parricides, des sacrilèges, ni de tous les crimes et de toutes les injustices qu'on peut s'imaginer ou commettre, et que des juges si sages ont pris soin de justifier par ces quelques mots : Je n'ai donné créance à rien, donc je n'ai pas failli. Or, comment ne ferais-je pas ce qui m'a paru probable? Ceux qui ne croient pas que l'on puisse, avec la probabilité, amener à de tels crimes, peuvent lire le discours où Catilina1 sut persuader le meurtre de sa patrie, ce qui renferme tous les forfaits réunis.
Qui maintenant ne rit de cette doctrine ? Ils disent eux-mêmes que, dans leurs actions, ils ne suivent que ce qui leur paraît probable, et ils cherchent pourtant avec grand soin la vérité, quoiqu'il leur paraisse probable qu'on ne peut la trouver. O l'étrange phénomène ! Mais laissons ces considérations qui n'ont rien de commun avec nous, qui n'entrent point dans les événements de notre vie et ne mettent point nos fortunes en danger. Ce qui est capital, ce qui est à craindre et ce qui doit effrayer tout homme de bien, c'est que si la probabilité existe, quand il aura paru probable à qui que ce soit qu'on peut commettre tel crime qui se présente, pourvu qu'il ne donne sa créance à aucun en le regardant comme vrai, c'est qu'il le commettra, sans qu'on puisse l'accuser, non-seulement de crime, mais même d'erreur. Eh quoi ! Est-ce qu'ils n'ont pas prévu tout cela? Au contraire, ils l'ont très-habilement et très-sagement prévu. Et sans prétendre imiter tant soit peu Cicéron en habileté, en activité, en génie et en science, si cependant lorsqu'il soutient que l'homme ne peut rien connaître, on lui disait seulement : Je sais que cela me paraît probable; il n'aurait rien à dire pour réfuter cet argument.
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Salluste sur Catilina, chap. 12. ↩