Translation
Hide
Traité de la musique
47.
Que l'âme s'attache à l'ordre, les harmonies sensibles n'en sont-elles pas la preuve évidente? D'où vient en effet la succession établie entre les différents pieds, le pyrrhique d'abord , puis l'iambe, en troisième lieu le trochée, et ainsi des autres? Tu vas me dire, il est vrai , que c'est la raison et non l'oreille qui a fixé cette succession, et cela est juste. Mais au moins ne faut-il pas reconnaître comme un privilège de l'oreille l'instinct qui l'empêche de confondre huit syllabes longues avec seize brèves, quoique leur durée soit la même ? Et quand la raison contrôle cette impression de l'oreille et qu'elle est avertie que le procéleusmatique est un équivalent du spondée , elle n'en trouve d'autre preuve sérieuse que la beauté même de l'ordre : car une syllabe longue n'est longue que par comparaison avec une brève, une brève n'est brève que par comparaison avec une longue, et par conséquent, si on prononce un vers iambique, en allongeant les syllabes autant qu'on voudra, pourvu qu'on garde toujours le rapport de fin à deux , dans la mesure, le vers garde aussi son nom d'iambique : au contraire, si on prononce lentement un vers composé de pyrrhiques, il se change en un vers spondaïque, au point de vue, non de la prosodie, mais de la musique. Quant au vers dactylique ou anapestique, comme le mélange des brèves et des longues fait apprécier leur quantité relative, quelque temps qu'on mette à le prononcer, il garde son nom1. Pourquoi d'ailleurs n'emploie-t-on pas la même marche pour mettre des demi-pieds complémentaires soit à la fin soit au commencement du mètre, et ne peut-on se servir indifféremment de tous les demi-pieds qui se frappent de la même manière? Pourquoi aime-t-on mieux parfois placer à la fin deux brèves que. deux longues? N'est-ce pas là une exigence de l'oreille ? Ce qui domine ici, ce n'est pas le rapport d'égalité, puisque la- mesure est la même avec une longue ou deux brèves, c'est un rapport d'ordre. Il serait trop long d'étudier dans les mesures de temps tout ce qui a trait à cette question. En un mot, l'oreille même rejette-les formes qu'approuvent les yeux, soit à cause de leur monotonie exagérée, soit à cause de leur commencement à contre-temps, et autres défauts analogues où elle condamne, non un rapport d'inégalité , puisque la symétrie des parties subsiste, mais une fausse harmonie2. Enfin lorsque, dans toutes les opérations de nos sens, nous nous accoutumons peu à peu à des actes que le défaut d'habitude nous rend pénibles à divers degrés, et que nous finissons par trouver agréable ce que d'abord nous avions eu peine à souffrir; n'employons-nous pas l'ordre pour ourdir ainsi comme une trame de plaisirs, sans agréer jamais nu tout dont le commencement, le milieu et la fin ne forment pas un ensemble harmonieux?
-
De même dans la musique moderne, les mouvements allegro ou andante, etc. ne changent rien à la valeur intrinsèque des notes, le rapport d'une blanche à une noire , d'une noire à une croche étant le même. ↩
-
C'est ainsi qu'en français l'oreille n'est pas dupe d'une rime qui ne s'adresse qu'aux yeux. ↩
Edition
Hide
De musica (PL)
47.
An fortasse ordinem non diligit anima illis etiam numeris sensualibus attestantibus? Unde ergo primus pes est pyrrhichius, secundus iambus, tertius trochaeus, et deinceps caeteri? Sed jure hoc dixeris rationem potius secutam esse, non sensum. Quid itaque, illud nonne sensualibus numeris dandum est, quod cum tantum temporis occupent, verbi gratia, octo longae syllabae, quantum sexdecim breves, in eodem tamen spatio breves longis potius misceri exspectant? De quo sensu cum ratio judicat, et ei proceleumatici pedes esse aequales spondeis pedibus renuntiantur, nihil aliud hic valere invenit, quam ordinationis potentiam, quia nec longae syllabae nisi brevium comparatione longae sunt, nec breves rursum breves sunt nisi comparatione longarum: ideoque iambicus versus [Col. 1188] quamlibet productius pronuntiatus, non amissa regula simpli et dupli, nec nomen amittit: at ille versus qui pyrrhichiis pedibus constat, paulatim addita pronuntiandi mora, fit repente spondiacus, si non grammaticam, sed musicam consulas. At vero si dactylicus aut anapaesticus sit, quoniam longae mixtarum brevium comparatione sentiuntur, qualibet mora pronuntietur, servat nomen suum. Quid additamenta semipedum non eadem lege in capite qua in fine servanda, nec omnia quamvis ad eumdem plausum coaptentur, adhibenda? quid duarum aliquando brevium potius, quam unius longae in fine positio? nonne ipso sensu modificantur? Nec in his aequalitatis numerus, cui nihil deperit, sive illud sive aliud sit, sed ordinis vinculum reperitur. Longum est percurrere caetera ad eamdem vim pertinentia in numeris temporum. Sed nempe etiam formas visibiles sensus ipse aspernatur, aut pronas contra quam decet, aut capite deorsum, et similia, in quibus non inaequalitas, manente partium parilitate, sed perversitas improbatur. Postremo in omnibus sensibus et operibus nostris, cum insolita pleraque, et ob hoc injucunda quibusdam gradibus appetitui nostro conciliamus, et ea primo tolerabiliter, deinde libenter accipimus; nonne ordine conteximus voluptatem, et nisi priora mediis, et media postremis concorditer nexa sint, abhorremus?