6.
L'impression des trois autres sens est intérieure, quoiqu'on puisse en douter jusqu'à un certain point pour l'odorat. Quant au goût et au toucher, c'est incontestable; il est évident que nous ne sentons pas ailleurs que dans notre chair ce que nous goûtons et ce que nous touchons. Ne nous occupons donc pas ici de ces trois sens. La vue et l'ouïe nous présentent une question admirable : comment l'âme sent où elle ne vit pas , et comment elle vit où ' elle n'est point. Elle n'est que dans sa chair et sent hors de sa chair; car elle sent là où elle voit, puisque voir c'est sentir; elle sent aussi là , où elle entend , puisque entendre c'est sentir. Donc, ou elle y vit également et par conséquent elle y est; ou bien elle sent où elle ne vit pas; ou bien elle vit où elle n'est pas. Toutes ces choses sont admirables; on ne peut en affirmer aucune sans avoir l'air de tomber dans l'absurdité : et nous parlons d'un sens mortel. Qu'est-ce donc que l'âme elle-même, en dehors des sens, et dans les profondeurs intimes de l'intelligence qui lui sert à considérer ces choses? Car ce n'est pas par les sens qu'elle juge des sens. Et lorsqu'il s'agit de la toute-puissance de Dieu, nous regardons comme quelque chose d'incroyable que le Verbe de Dieu, par lequel tout a été fait, ait pris un corps dans le sein d'une vierge et se soit montré avec des sens mortels, de façon à ne pas perdre son immortalité , à ne rien changer à son éternité, à ne rien diminuer de sa puissance , à ne pas quitter le gouvernement du monde, à ne pas s'éloigner du sein de son Père, c'est-à-dire de cette mystérieuse et éternelle solitude où il est avec lui et en lui !