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Pourquoi répondrais-je quand ils soutiennent que l'empire romain a gravement souffert par la faute de quelques princes chrétiens? Ce reproche général est une calomnie. S'ils rappellent quelques fautes précises et certaines des derniers empereurs, je prouverai que des fautes pareilles, et de plus grandes peut-être, se sont rencontrées dans des empereurs qui n'étaient pas chrétiens, et l'on comprendra que ces maux ne sont pas imputables à la doctrine, mais aux hommes ou qu'ils ont été le fait des instruments sans lesquels les empereurs ne peuvent rien. On voit assez depuis quel moment la république romaine a commencé à décliner; les livres de ces mêmes Romains le disent; bien avant que le nom du Christ eût éclaté sur la terre, on s'était écrié: « O ville vénale, qui périrait bien vite, si elle trouvait un acheteur 1 ! » Dans son livre de la guerre de Catilina, qui a précédé aussi l'avènement du Christ, l'illustre historien d'où nous tirons cette parole marque l'époque où l'armée du peuple romain commença à s'adonner aux plaisirs et au vin, à attacher un grand prix aux statues, aux tableaux, aux vases ciselés, à se les approprier aux dépens des particuliers et du public, à dépouiller les temples, à souiller le sacré et le profane. L'honneur et la force de la république commencèrent à tomber, lorqu'au milieu de la corruption et de la perte des moeurs la cupidité rapace n'épargna ni les hommes ni ceux mêmes qu'on croyait des dieux. Il serait trop long de dire tout ce qui sortit de ces vices et quel succès obtint cette iniquité pour le malheur des choses humaines. Que les Romains à qui nous nous adressons ici écoutent leur poète satirique dire la vérité en badinant : « Jadis une humble fortune conservait la chasteté des Latines; le travail, un sommeil court, les mains fatiguées et endurcies à préparer la laine de Toscane, Annibal aux portes de Rome, les maris debout dans la tour Colline, ne, permettaient pas aux vices « de toucher leurs petits toits. Maintenant nous subissons les maux d'une longue paix ; plus cruels que les armes, le luxe pèse sur nous et venge l'univers vaincu. Aucun crime , aucune infamie ne nous manque depuis que la pauvreté romaine a péri 2. »
A quoi bon m'arrêter sur les maux produits par les longues prospérités de l'iniquité romaine, puisque les observateurs les plus attentifs d'entre les Romains ont regretté l'ancienne pauvreté et déploré la funeste opulence de la république ! Dans l'une se conservait l'intégrité des mœurs, et, par l'autre, une corruption plus redoutable que l'ennemi s'est précipitée, non sur les murs, mais sur l'âme même de Rome.