7.
Quoi donc? pour marquer la différence qu'il y a entre voir et croire, n'est-ce pas assez de dire qu'on voit les choses présentes et qu'on croit les absentes? Ce sera assez si par les choses présentes nous entendons celles qui se trouvent près des sens de l'esprit ou du corps : de là même vient qu'on les nomme présentes. C'est ainsi que je vois la lumière du jour avec les sens du corps, et ma volonté avec les sens de l'esprit parce qu'elle m'est présente au dedans. Mais si quelqu'un me fait connaître sa volonté, sa bouche et le son de sa voix me sont seuls présents; la volonté qu'il m'exprime est elle-même cachée aux yeux de mon corps et à ceux de mon esprit; j'y crois, je ne la vois pas : si je pense que cet homme ment, je ne crois pas à sa parole, quand même par hasard il dirait la vérité. On croit donc les choses qui ne sont pas présentes à nos sens, si elles paraissent appuyées d'un suffisant témoignage; on voit celles qui sont près des sens du corps et de l'esprit, ou présentes. Quoique les sens du corps soient au nombre de cinq, la vue est principalement attribuée aux yeux, et c'est le mot dont nous nous. servons pour exprimer l'action des autres sens : l'ouïe, l'odorat, le goût, le toucher. Nous ne disons pas seulement : Voyez quelle lumière ! mais nous disons aussi : Voyez quel bruit, voyez quelle odeur, voyez quel goût, voyez quelle chaleur ! Parce que j'ai dit qu'on croit les choses qui ne sont pas présentes à nos sens, il ne faut pas ranger de ce nombre celles que nous avons vues quelquefois, et que nous sommes sûrs d'avoir vues, quoiqu'il ne nous en reste plus que le souvenir; car elles font partie de ce qui a été vu et non pas de ce qu'on doit croire; c'est pourquoi elles nous sont connues, non point d'après le témoignage d'autrui, mais d'après nos propres souvenirs, et nous savons avec certitude que nous les avons vues.