42.
Cela étant, dites-moi, je vous prie : lorsqu'il se fait en vous une œuvre si grande, lorsque vous distinguez les choses intérieures des extérieures et que vous préférez infiniment celles-là à celles-ci; lorsque, laissant les unes au dehors, vous restez en vous-même avec les autres et que sans espace ni lieu vous leur marquez à chacune sa place, croyez-vous être dans la nuit ou dans quelque lumière? car moi je pense qu'il est impossible que vous voyiez sans lumière tant et de si grandes choses, si vraies, si évidentes, si certaines. Regardez donc la lumière même dans laquelle toutes ces choses vous apparaissent, et voyez s'il est un seul des yeux du corps qui puisse y atteindre : assurément non. Examinez encore; y a-t-il dans cette lumière des espaces ou des intervalles de lieux? Répondez. Vous n'y trouvez rien de tel, je le crois, si vous avez soin d'écarter de la vue intérieure toute trace d'images corporelles que les sens y apportent. Mais ceci est peut-être difficile. Les images grossières, entretenues par les habitudes de la vie matérielle, se précipitent en troupe jusque sur l'oeil de notre âme; faisant effort pour résistera cette invasion, armé de l’autorité divine, je me suis écrié en gémissant dans ma courte lettre. « Que la chair enivrée de pensées charnelles écoute ceci : Dieu est esprit 1. » Par là j'ai entendu m'avertir moi-même plus que tout autre et me mettre en garde contre de complaisantes illusions. En effet nous inclinons très-aisément vers ce qui fait le fond de nos habitudes; une des marques de la faiblesse de l'homme, c'est de se plaire intérieurement dans les images dont les corps lui laissent l'impression; dans ces occupations grossières l'âme ne trouve ni force ni vie, mais elle y devient malade et s'y couche en quelque sorte et y languit.
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Lettre XCII, n. 5. ↩