6.
Ne pouvant vous témoigner tout le plaisir que m'a causé votre lettre , je vous ai dit par où elle m'a fait plaisir; je vous laisse à penser le reste, c'est-à-dire combien je me suis réjoui. Recevez donc mon fils, recevez, vous qui êtes homme de bien non point à la surface, mais qui êtes chrétien dans la profondeur de la charité chrétienne, recevez les livres que vous avez désirés, les livres de mes Confessions. Regardez-moi là-dedans, de peur que vous ne me jugiez meilleur que je ne suis ; là c'est moi et non pas d'autres que vous écouterez sur mon compte ; considérez-moi dans la vérité de ces récits, et voyez ce que j'ai été lorsque j'ai marché avec mes seules forces; si vous y trouvez quelque chose qui vous plaise en moi, faites-en remonter la gloire à Celui que je veux qu'on loue, et non pas à moi-même. Car c'est lui qui nous a faits, et nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes 1; nous n'étions parvenus qu'à nous perdre, mais celui qui nous a faits nous a refaits. Quand vous m'aurez connu dans cet ouvrage, priez pour moi afin que je ne tombe pas, mais afin que j'avance; priez, mon fils, priez. Je sens ce que je dis, je sens ce que je demande; n'allez pas croire que vous en soyez indigne et que ce soit comme au-dessus de vos mérites; si vous ne le faisiez pas, vous me priveriez d'un grand secours. Priez pour moi; je le demande aussi à tous ceux qui m'aimeront d'après vous-même; dites-le leur; et si l'idée que vous avez de mes mérites vous retient, prenez ceci comme un ordre de ma part : donnez à ceux qui demandent ou obéissez à ceux qui ordonnent. Priez pour nous. Lisez les divines Ecritures, et vous verrez que les apôtres, nos chefs, ont demandé cela à leurs enfants ou l'ont prescrit à leurs disciples. Vous me l'avez demandé pour vous, et Dieu voit combien je le fais : qu'il m'exauce, lui qui sait que je le faisais avant même que vous me l'eussiez demandé ! payez-moi donc de retour. Nous sommes vos pasteurs , vous êtes le troupeau de Dieu; considérez et voyez combien nos périls sont plus grands que les vôtres, et priez pour nous. Il le faut pour vous et pour nous, afin que nous rendions bon compte de vous au Prince des pasteurs et au chef de nous tous, et que nous échappions ensemble aux caresses de ce monde, plus dangereuses que les tribulations : la paix du monde n'est bonne que quand elle sert, comme l'Apôtre nous avertit de le demander, à nous « faire passer une tranquille vie en « toute piété et charité 2. » Si la piété et la charité manquent, tout ce qui met à l'abri de ces maux et des autres maux du monde n'est qu'un sujet de dérèglement et de perdition, une invitation au désordre ou une facilité pour y tomber. Demandez donc pour nous, comme nous pour vous, que nous passions une vie paisible et tranquille en toute piété et charité. Priez pour nous en quelque lieu que vous soyez et en quelque lieu que nous soyons : car il n'est point de lieu où ne soit Celui à qui nous appartenons.