2.
Qu'est-ce que cela prouve ? me direz-vous peut-être; ces deux objets ne pourraient pas venir à la mémoire si l'imagination ne vous les retraçait pas. — Il me suffit de vous prouver pour le moment que la mémoire retient aussi les choses qui n'ont point encore passé; et soyez bien attentif pour comprendre l'avantage que j'en tire. Il y a des gens qui reprochent à Socrate cette très-belle vue de son génie, par laquelle il soutient que les choses que nous apprenons n'entrent pas comme des nouveautés dans notre esprit, mais s'éveillent en nous comme des souvenirs: et ceux-là disent que les choses passées sont seules du domaine de la mémoire, que, selon Platon lui-même, ce que nous apprenons demeure toujours et ne doit pas être confondu avec ce qui passe. Mais ils ne s'aperçoivent pas qu'elle est du passé, cette première vue qui s'est une fois présentée à notre intelligence, que nous avons cessé de suivre pour aller à d'autres objets, et que nous retrouvons par le souvenir. L'éternité, pour ne pas citer d'autres exemples, demeure toujours et n'a pas besoin que des figures imaginaires la représentent dans notre esprit; elle ne peut pas nous venir pourtant sans que nous nous en souvenions : il y a donc des choses pour lesquelles la mémoire n'a pas besoin de l'imagination.