4.
On peut très-bien et avec vérité diviser en trois sortes toutes ces images que vous appelez, comme beaucoup de gens, des fantômes: les unes, nées des sens, les autres de (imagination, d'autres, enfin, de la pensée. Les images de la première sorte me retracent votre visage, ou bien la ville de Carthage, ou bien notre ami Vérécondus 1 que nous avons perdu; elles sont comprises dans tout ce que j'ai vu et senti des choses qui demeurent ou de celles qui ne sont plus. Je place dans la deuxième sorte ce que nous croyons être ou avoir été de telle manière, ces fictions de l'esprit qui donnent de la grâce au discours sans nuire à la vérité, cette représentation que nous nous faisons à nous-mêmes en lisant des histoires, en écoutant ou en composant des fables, ou bien encore en formant des conjectures. C'est ainsi que, selon mon gré et selon l'impression de mon esprit, je me représente le visage d'Enée, celui de Médée avec ses dragons ailés attachés au joug, celui de Chrémès ou de Parménon 2. Il faut ranger aussi dans la deuxième sorte d'images ces allégories sous le voile desquelles les sages ont caché quelque vérité, ou ces inventions insensées qui ont établi chez les hommes les différentes superstitions, comme le phlégéton du Tartare, les cinq cavernes de la nation des ténèbres, l'aiguille du Nord qui soutient le ciel, et mille autres chimères des . poètes et des hérétiques. On dit encore dans les discussions : supposez qu'il y ait trois mondes superposés, comme il n'y en a qu'un seul, ou que la terre soit carrée, et autres choses semblables. Tout cela est feint ou imaginé, selon les mouvements de la pensée.
Ce sont surtout les nombres et les dimensions qui appartiennent à la troisième sorte d'images; elles tiennent à la nature des choses lorsque par exemple, la réflexion découvre et la pensée se retrace la vraie figure du monde; ou bien elles touchent à nos études dans les figures géométriques et dans le rythme de la musique et dans l'infinie variété des nombres quelque vraies qu'elles soient à mon sens, elles enfantent cependant de fausses idées que la raison elle-même n'écarte pas sans peine; et il n'est pas facile à l'étude et au discours de s'affranchir de ce mal; nous imaginons comme des jetons pour nous reconnaître dans les divisions et les conclusions.
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C'est à Vérécondus qu'appartenait la maison de campagne de Cassiacum où saint Augustin, sa mère et de jeunes amis passèrent des jours d'étude et de contemplation dont on peut voir la peinture dans notre Histoire de saint Augustin, chap. III. Nous écrivons Cassiacum au lieu de Cassiciacum, d'après les recherches intéressantes et certaines que nous a transmises le docte abbé Luigi Biraghi, de Milan. ↩
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Personnages de Térence. ↩