14.
« Qu’ils soient confondus, anéantis, les ennemis de mon âme1 ». Quel souhait ? « Qu’ils soient confondus et anéantis ». Pourquoi ce souhait? « Parce qu’ils compromettent mon âme » . Qu’est-ce à dire « qu’ils la compromettent ? » Qu’ils l’engagent comme dans une rixe. Car on appelle compromis des hommes que l’on engage dans des querelles. Si donc il en est ainsi, évitons ceux qui compromettent notre âme. Qu’est-ce à dire: qui compromettent notre âme? Qui nous provoquent à résister à Dieu, à le maudire dans nos malheurs. Quand est-ce que tu es assez droit pour goûter la bonté du Dieu d’Israël, qui est bon pour les humbles de coeur2? Quand est- ce que tu es droit? Veux-tu l’entendre? Lorsque Dieu te plait dans le bien que tu fais, et que tu ne le maudis point dans les maux que tu endures. Comprenez bien ces paroles, mes frères , et soyez en garde vis-à-vis de ceux qui compromettent vos âmes. Tous ceux qui ont sur vous une influence de découragement dans le chagrin et dans les épreuves, aboutissent â vous le faire maudire dans vos souffrances, et à tirer de votre bouche ces paroles Qu’est-ce que cela? qu’ai-je fait? Ainsi donc, tu n’as rien fait, tu es juste, et Dieu est injuste? Mais, diras-tu, je suis pécheur, je l’avoue, je ne me dis point juste; néanmoins, pour être pécheur, le suis-je autant que tel autre qui est heureux? Autant que Galus-Seïus? Je connais ses crimes, ses iniquités, dont je suis bien loin, tout pécheur que je suis; et pourtant je le vois dans une prospérité florissante, quand je languis dans une tefle misère. Si donc je dis : Que vous ai-je fait, ô mon Dieu, ce n’est pas que je n’aie fait aucun mal, mais je n’en ai pas fait assez pour endurer ce que je souffre. Encore une fois, c’est toi qui es juste, et Dieu qui est injuste. Eveille-toi, misérable, ton âme est compromise. Je ne me dis point juste, me répondras-tu. Que dis-tu donc? Je suis pécheur, mais les fautes que j’ai commises ne méritent pas de si grands maux. A la vérité, tu ne dis point à Dieu : Je suis juste et vous injuste; mais bien : Je suis injuste, et vous plus injuste encore. Voilà comment ton âme est engagée, voilà ton âme qui guerroie. Quelle âme, et contre qui? Ton âme, et contre Dieu; ton âme, qui est créature, en guerre contre son créateur ; âme ingrate, par cela même que tu cries contre lui. Reviens donc à l’aveu de ta faiblesse; implore le secours du médecin. N’estime pas heureux ceux qui ne fleurissent que pour un temps. Dieu te châtie, et il les épargne; il ne te châtie peut-être, et ne te purifie comme un fils, qu’afin de te laisser son héritage. Reviens donc, prévaricateur, reviens en ton coeur3, et n’engage point ton âme. Celui que tu veux combattre est beaucoup plus fort que toi. Plus grandes seront les pierres que tu lanceras contre le ciel, et plus elles t’écraseront par leur chute. Reviens donc et reconnais-toi. C’est à Dieu que tu t’en prends; c’est à toi de rougir et de t’en prendre à toi-même. Tu ne ferais aucun bien sans sa bonté; tu n’aurais rien à souffrir sans sa justice. Eveille-toi donc à cette voix : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté; comme il a plu au Seigneur, ainsi a-t-il été fait: que le nom du Seigneur soit béni4 ». Ils étaient injustes, ces hommes pleins de santé, assis auprès de Job5; et néanmoins, lui que Dieu devait recevoir dans le ciel, était flagellé, et eux, qu’il devait punir un jour, étaient alors épargnés. Quelles que soient donc les afflictions qui t’arrivent, les outrages que tu essuies, n’engage point ton âme; ne l’engage pas contre Dieu, ni même contre ceux qui te font subir ces traitements. La moindre haine que tu conçoives contre eux compromettrait ton âme à leur égard. Rends plutôt grâces à Dieu, et prie-le pour eux. C’est peut-être une invocation en leur faveur, que cette parole que tu as entendue « Qu’ils soient confondus, anéantis, ceux qui engagent mon âme ». « Qu’ils soient confondus, anéantis», car ils présument de leur justice; qu’ils soient confondus, voilà ce qui leur convient, afin qu’ils reconnaissent leurs péchés; qu’ils en soient dans la confusion, dans la défaillance, eux qui avaient tort de présumer de leur justice, qu’ils disent dans leur défaillance : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis puissant6 ». Qu’ils disent encore : « Ne me rejetez point aux jours de ma vieillesse7 ». C’est donc leur bien que souhaitait le Prophète, dans cette confusion de leurs maux, dans cette défaillance de leurs forces pour le mal, afin que, confondus et anéantis, ils cherchent à échanger cette confusion contre la lumière, et cette faiblesse contre la force. Ecoute ce qui vient ensuite: « Qu’ils revêtent la confusion et la honte, ceux qui cherchent ma ruine. La confusion et la honte » : la confusion, à cause de leur conscience criminelle, et la honte pour devenir modestes. Qu’il en soit ainsi d’eux, et ils deviendront bons. N’accuse donc plus de violence le prophète; puisse-t-il être exaucé en leur faveur. La parole d’Etienne paraissait violente, alors que de sa bouche enflammée s’exhalait cette apostrophe : « Hommes à la tête dure, incirconcis de coeur et d’oreilles, vous résistez toujours au Saint-Esprit8 ». Quel transport de colère, quelle véhémence contre ses adversaires ! Son âme te paraît engagée? Loin de là, il cherchait leur salut, il enchaînait par ses paroles ces frénétiques à l’aveugle délire. Vois en effet que son âme n’était engagée ni contre Dieu ni contre eux-mêmes. « Seigneur Jésus », dit-il, « recevez mon esprit9 ». Il ne s’emporta point contre Jésus, puisqu’il endurait d’être lapidé pour sa parole; son âme n’était donc point compromise vis-à-vis de Dieu. Elle ne l’était pas non plus vis-à-vis de ses ennemis, puisqu’il s’écrie : « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché10. Qu’ils revêtent la confusion et la honte, ceux qui méditent ma ruine ». Voilà ce que cherchent tous ceux qui m’affligent, ils cherchent à me nuire. Voilà ce que cherchait cette femme, qui donnait ce conseil : «Blasphème ton Dieu, et meurs11 », et cette autre épouse de Tobie, qui disait à son mari : « Où sont toutes vos justices12? » Elle parlait ainsi pour l’animer contre Dieu, qui l’avait rendu aveugle, et compromettre son âme par ce sentiment coupable.