1.
Voici un pauvre qui prie, et qui ne prie pas en silence. On peut donc entendre ce qu’il dit, et voir qui il est. C’est peut-être de ce pauvre que saint Paul dit: «Il s’est fait pauvre « pour nous, lui qui était riche, afin de nous enrichir par sa pauvreté » .Mais si c’est lui, comment est-il pauvre ? Car sa richesse, qui ne la voit point? Qu’est-ce qui fait la richesse des hommes? L’or, l’argent, de nom nombreux domestiques, de grandes terres: mais stout cela est fait par lui1». Or, quoi de plus riche que celui qui a fait les richesses, et même celles qui ne sont point de véritables richesses? C’est de lui, en effet, que nous viennent ces richesses intérieures, le génie, la mémoire, la conduite, la santé, la vivacité des sens, la conformation des membres. Avec ces biens un homme est déjà riche, fût-il pauvre d’ailleurs. C’est de Dieu encore que viennent les richesses bien plus précieuses, comme la foi, la piété, la justice, la charité, la chasteté, les moeurs pures. Car nul ne peut les tenir que de celui qui justifie l’impie2. Incalculables richesses ! Quel est en effet le plus riche, ou l’homme qui a ce qu’il désire, par celui qui a tout fait, ou celui qui fait ce qu’il veut, pour en laisser le bénéfice à un autre? Assurément le plus riche est celui qui a fait ce que tu possèdes, puisqu’il a aussi ce que tu n’as pas. Quelles richesses encore une fois ! Et dans celui qui est si riche comment retrouver cette parole : « Je mangeais la cendre comme du pain, et je mêlais mes larmes à mon breuvage3?» Est-ce là que se bornent tant de richesses? Quelle élévation d’une part ! quel abaissement d’autre part ! Que faire ? Comment allier tant de grandeur avec tant de bassesse ? Quelle distance de l’une à l’autre! Je ne reconnais point ce pauvre; sans doute c’est un autre, cherchons encore. Ce qui nous fait croire que ce n’est point lui, c’est que nous ne pouvons l’interroger, sans nous extasier devant ses richesses : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était sen Dieu, et le Verbe était Dieu. Voilà ce qui était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait4». Celui qui a parlé de la sorte, était riche déjà pour tenir ce langage, et combien l’était davantage Celui dont il disait : « Au commencement était le Verbe », non point un Verbe quelconque, mais « le Verbe Dieu »; non point quelque part, mais en Dieu»; non point oisif, mais: « Toutes choses ont été faites par lui». A-t-il donc mangé son pain comme la cendre, mêlé ses larmes à son breuvage? Craignons que notre pauvreté ne fasse injure à tant de richesses. Cherche cependant s’il ne serait point lui-même ce pauvre, « lui qui s’est fait chair pour habiter parmi nous5 ». Ecoute cette parole : « C’est moi votre serviteur, elle fils de votre servante6». Souvenez-vous de cette chaste servante, vierge et mère tout ensemble, C’est en elle qu’il s’est revêtu de notre pauvreté, qu’il a revêtu la forme de l’esclave, en s’anéantissant lui-même, de peur que sa richesse ne t’effrayât et ne t’empêchât de t’approcher de lui à cause de ton extrême pauvreté. C’est là, dis-je, qu’il a pris la forme de l’esclave, là qu’il s’est revêtu de notre pauvreté, qu’il s’est fait pauvre, là qu’il nous n enrichis. Nous commençons donc à comprendre qu’il s’agit de lui dans ce passage; toutefois ne nous prononçons pas avec témérité c’est le fruit d’une vierge, c’est la pierre détachée de la montagne, sans le secours d’aucun homme7, nul homme n’a eu part dans cette oeuvre, nulle transfusion de concupiscence, mais la foi s’alluma et la chair du Verbe fut conçue. Il sortit du sein virginal; les cieux chantèrent sa gloire, les anges l’annoncèrent aux bergers8, l’étoile attira les mages, qui adorèrent ce nouveau roi9. Siméon, plein de l’Esprit-Saint, reconnut l’Enfant-Dieu dans les bras de sa mère. L’âge fit grandir, non sa divinité, mais son corps, et d’ineptes vieillards admirent avec stupéfaction la sagesse d’un enfant de douze ans10. Et quand même ces vieillards eussent été habiles qu’est-ce que cette habileté auprès du Verbe de Dieu ? Qu’est-ce que cette habileté auprès de la Sagesse de Dieu? Les habiles eux-mêmes ne seraient-ils pas réduits au néant, si le Verbe ne les soutenait ? Son corps grandit encore, et il vient au fleuve pour être baptisé ; celui qui le baptise le reconnaît pour Dieu, et se proclame indigne de délier les cordons de ses souliers11. Dès lors la lumière est rendue aux aveugles, l’oreille des sourds est ouverte, les muets parlent, les lépreux sont guéris, les paralytiques affermis, les malades recouvrent la santé, les morts ressuscitent12. 13