8.
J’en appelle donc à votre foi, mes frères, ô vous qui êtes les fils de l’Eglise, qui vous êtes avancés dans l’Eglise, et qui vous avancerez si vous ne l’avez point fait encore, qui ferez des progrès de plus en plus rapides, et qui en avez faits déjà, j’en appelle à votre foi; comment comprenez-vous cette parole que vous entendez dans l’Evangile : « Que votre main gauche ignore ce que fait votre droite1? » Comprendre cette parole, c’est comprendre ce qu’est la droite et ce qu’est la gauche ; vous comprendrez également que c’est Dieu qui a fait l’une et l’autre, la droite et la gauche, et que néanmoins la droite ne doit point savoir ce que fait la gauche. La gauche signifie toute possession temporelle, et la droite le bien éternel et immuable que Dieu nous a promis. Or, si le même Dieu qui nous donnera la vie éternelle nous console pendant cette vie parles biens des temps, c’est lui, assurément, qui a fait la droite et la gauche. David a dit dans un psaume, à propos de quelques-uns, que « leur bouche a dit des choses vaines, et que leur droite est la droite de l’iniquité». Donc, il en trouve, et il les en blâme, qui prennent leur véritable droite pour la gauche, et leur véritable gauche pour leur droite, et il nous montre ensuite quels sont ces hommes. Quiconque ne voit pour l’homme de félicité que dans les seuls biens et les plaisirs du temps, dans l’abondance et les richesses de ce monde, celui-là est un insensé, un pervers, il prend sa gauche pour sa droite. Tels étaient ceux dont le psaume nous dit, non point qu’ils n’avaient pas reçu de Dieu les biens qu’ils possédaient, mais qu’ils ne faisaient consister qu’en ces jouissances la vie bienheureuse, et ne recherchaient rien autre chose. Ecoutez, en effet, ce qu’il dit ensuite à leur sujet: « Leur bouche a dit des choses vaines, et leur droite est la droite de l’iniquité ». Et ensuite : « Leurs enfants sont comme de jeunes arbres, leurs filles sont ornées comme l’idole d’un temple, leurs « celliers sont remplis et regorgent deçà et delà, leurs brebis sont fécondes et s’en vont en foule de leurs étables; leurs boeufs sont gras, on ne voit dans les clôtures ni passage ni ruine, et nul cri ne s’élève de leurs places publiques2 ». Telle est la grande félicité de quelques-uns. Toutefois cette félicité pourrait échoir à un juste, comme elle échut à Job ; mais Job la regardait comme sa gauche, et non comme sa droite; car il ne comptait pour sa droite que le bonheur continuel et sans fin qu’il se promettait en Dieu. C’est pourquoi Dieu permit qu’on le frappât sur la gauche, et sa droite lui suffit. Comment la gauche fut-elle frappée? Par les tentations du démon. Le démon lui enleva soudainement ses biens, lui à qui Dieu permet d’agir, pour éprouver le juste et châtier l’impie, enleva tout à Job; mais Job savait que la gauche était la gauche, et qu’il n’y a que la droite qui soit la droite; avec quelle force admirable il s’attacha à la droite ! Il tressaillit dans le Seigneur, il se consola de ses pertes, parce qu’il ne laissa point entanier ses trésors intérieurs; son coeur était plein de Dieu. « Le Seigneur l’a donné », dit-il, « le Seigneur l’a ôté; ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a e été fait : que le nom du Seigneur soit béni3». Telle était sa droite, le Seigneur lui-même, la vie éternelle même, la possession de l’ineffable lumière, la source de la vie, la lumière dans la lumière. « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison4». C’était là sa droite. Quant à sa gauche elle n’était qu’un secours de consolation, et non un affermissement dans la félicité. Car Dieu était pour lui le bonheur véritable et souverain. Ainsi, quand David a dit de ces hommes que « leur bouche s’épanche en vanités, que leur droite est la droite de l’injustice5 », il ne leur fait pas un crime de posséder tous ces biens , mais de ce que leur bouche se répand en paroles vaines. En effet, que voyons-nous ensuite? Après avoir énuméré toutes leurs richesses, il s’écrie : « Ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens6 ». Telle est la vanité qu’a proférée leur bouche, c’est d’avoir proclamé heureux le peuple qui a de tels biens. Mais que direz-vous, ô Prophète, qui savez discerner quelle est votre gauche et quelle est votre droite? Il continue en disant: « Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu7».