1.
J’ai entrepris, nonobstant ma faiblesse, d’exposer à votre charité, mes frères, le psaume que me signale principalement saint Paul, ainsi qu’a pu vous en convaincre la lecture que l’on vient de vous en faire, pour relever la grâce de Dieu et le mystère de notre justification qui s’opère sans que nulle de nos oeuvres l’ait provoqué, mais par la bonté de Dieu notre Seigneur qui nous prévient. Soutenez donc tout d’abord ma faiblesse par vos prières, comme l’a dit l’Apôtre, « afin que Dieu m’ouvre la bouche et me donne de vous parler (Eph. VI,19 ) », d’une manière qui soit sans péril pour moi et salutaire pour vous. Car ici l’esprit humain, naturellement inquiet et en suspens entre l’aveu de son infirmité et la présomption de ses forces, est souvent poussé deçà et delà avec un égal danger de tomber dans un précipice. En effet, s’il s’abandonne entièrement à sa propre faiblesse, dominé par cette pensée, il se dit que telle est la divine miséricorde pour tous les pécheurs, quels que soient leurs désordres et leur obstination, qu’à la fin ils recevront leur pardon, pourvu qu’ils croient que Dieu les délivrera, et leur pardonnera, en sorte que nul chrétien pécheur ne périsse , c’est-à-dire que nul ne puisse périr de tous ceux qui se disent en eux-mêmes: Quoi que je fasse, de quelque abomination., de quelque infamie que je sois souillé, quelque, nombreux que soient mes péchés, le Seigneur me délivrera dans sa miséricorde parce que j’ai cru en lui : si, dis-je, il en vient à croire que nul de ces coupables ne périt, il tombe dans une fausse croyance, sur l’impunité des crimes. Alors Dieu qui est juste, et dont le psaume chante la miséricorde et le jugement, non-seulement la miséricorde mais aussi le jugement1, trouve cet homme dans une fausse présomption de la bonté divine, abusant de la divine miséricorde pour sa propre perte, et ne peut que le damner. Une telle pensée est donc pour l’homme un dangereux précipice. Mais s’il redoute ce danger, au point de se confier en lui-même, et que par une téméraire présomption de sa justice et de ses forces, il se propose d’accomplir toute justice et d’observer exactement ce qu’ordonne la loi de Dieu, au point de ne pécher aucunement; s’il se regarde comme tellement maître de sa vie qu’il puisse ne jamais tomber, ne jamais faiblir, ne jamais chanceler, ne jamais s’aveugler, et qu’il attribue ce résultat à la puissance de sa volonté; quand même il accomplirait tout ce qui paraît juste aux yeux des hommes, sans qu’il parût rien de répréhensible dans sa vie, Dieu devrait encore punir cette présomption, cette vaine ostentation d’orgueil. Qu’est-ce donc? si l’homme prétend se justifier lui-même, s’il présume de sa justice, il tombe: s’il considère attentivement sa faiblesse, et que se confiant en la divine miséricorde, il néglige de se purifier de ses taules, il se plonge dans l’abîme du vice, il tombe encore. Péril à droite en présumant de sa justice, péril à gauche en espérant l’impunité. Ecoutons la voix de Dieu qui nous crie: « Ne vous détournez ni à droite ni à gauche2». vous appuyez point sur votre justice pour espérer le ciel, ni sur la divine miséricorde pour pécher. Précepte divin qui vous détourne de ce double écueil, et de l’exaltation de l’orgueil et de la profondeur du crime. Vous élever jusqu’à l’une, c’est appeler votre chute; descendre jusqu’à l’autre, c’est vous engloutir. N’allez donc, dit le Sage, ni à droite ni à gauche. Je vous le répète en un mot, afin de le graver dans votre esprit: Ne vous appuyez point sur votre justice pour espérer le ciel, ni sur la divine miséricorde pour pécher. Que faire alors, me répondrez-vous? Notre psaume nous l’enseigne : et j’espère, Dieu aidant, qu’après en avoir écouté la lecture et l’explication, nous connaîtrons la voie que nous devons prendre, ou dans laquelle nous devons nous tenir avec courage. Que chacun nous écoute selon ses facultés, et qu’il s’afflige ou se réjouisse selon que sa conscience va lui suggérer un vice à corriger, une vertu à applaudir. S’il s’aperçoit qu’il ait fait fausse route, qu’il revienne dans le bon chemin; s’il se trouve dans la bonne voie, qu’il y marche afin d’arriver au but. Nul orgueil, hors du bon chemin; nulle paresse en chemin.