3.
Cet homme donc, redoutant un plus grand malheur que celui dont il était accablé déjà, raconte et offre à Dieu ses agitations. Car il dit clairement qu’il est dans la douleur, et il n’est besoin, pour le comprendre, ni d’interprète, ni de soupçon, ni de conjecture: ses paroles ne nous laissent aucun doute sur le mal dont il souffre, et il n’est nul besoin de le chercher, mais de comprendre ce qu’il dit. Et s’il ne craignait un malheur plus grand que celui dont il souffre, il ne commencerait pas ainsi : « Seigneur, ne me reprenez point dans votre indignation, ne me corrigez point dans votre colère1 ». Il arrivera, en effet, que Dieu châtiera des pécheurs dans sa colère et les reprendra dans son indignation. Tous ceux qu’il reprendra ne seront peut-être pas corrigés; et néanmoins, plusieurs seront sauvés par le châtiment. Il y en aura, puisque être châtié, c’est « passer comme par le feu2». D’autres, au contraire, seront repris sans néanmoins se corriger. Car ce sera bien les reprendre que de leur dire: « J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger; j’ai eu soif, et vous ne m’avez point donné à boire3 » ; et tout ce qui vient ensuite, pour reprocher la dureté de coeur et la stérilité aux méchants qui seront à sa gauche et auxquels il dira : « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges4 ». Cette âme donc, redoutant des maux bien plus grands que ceux dont elle gémit en cette vie, supplie le Seigneur et s’écrie: « Seigneur, ne me reprenez pas dans votre colère ». Que je ne sois point avec ceux auxquels vous direz: « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges.— Ne me corrigez pas dans votre colère »; mais plutôt, corrigez-moi dès cette vie, et rendez-moi telle que je n’aie pas besoin de passer par le feu de l’expiation, comme ceux qui doivent être sauvés, mais comme par le feu. Pourquoi, sinon parce qu’en cette vie ils élèvent sur le vrai fondement un édifice en bois, en foin, en paille? S’ils bâtissaient en or, en argent, en pierres précieuses, ils seraient en sûreté contre l’un et l’autre feu ; non seulement contre le feu éternel qui doit dévorer l’impie pendant l’éternité, mais contre le feu qui doit purifier ceux qui seront sauvés par le feu. Il est dit en effet « qu’ils seront sauvés, mais comme par le feu ». Or, parce qu’il est dit: « Il sera sauvé », on dédaigne ces flammes. Mais, bien qu’il serve à nous sauver, ce feu sera néanmoins plus horrible que toutes les douleurs qu’un homme peut endurer ici-bas. Et pourtant, vous savez quels maux endurent les méchants, quels maux ils peuvent endurer encore sur la terre ; mais ils n’ont rien enduré que les bons ne puissent endurer. Quels supplices les lois humaines ont-elles pu infliger au magicien, au voleur, à l’adultère, au scélérat, au sacrilège, que le martyr n’ait pas souffert en confessant Jésus-Christ? Les maux de cette vie sont donc bien plus supportables ; et toutefois, voyez avec quel empressement les hommes feront, pour les éviter, tout ce que vous leur commanderez. Combien gagneraient-ils plus à supporter ce que Dieu ordonne, pour éviter ces horribles tourments?