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Apologétique
XXXIX.
A quoi donc s'occupe la faction chrétienne? Je vais l'exposer. Après l'avoir défendue contre la calomnie, au mal qu'on lui impute opposons le bien qui s'y trouve. Unis ensemble par le nœud d'une même foi, d'une même espérance, d'une même morale, nous ne faisons qu'un corps. Saintement ligués contre Dieu, nous l'assiégeons de nos prières, afin de lui arracher par une violence toujours agréable ce que nous lui demandons. Nous l'invoquons pour les empereurs, pour leurs ministres, pour toutes les puissances, pour l'état présent du siècle, pour la paix, pour l'ajournement de la catastrophe dernière. Nous nous assemblons pour lire les Ecritures, où nous puisons, selon les circonstances, les lumières et les avertissements dont nous avons besoin. Cette sainte parole nourrit notre foi, relève notre espérance, affermit notre confiance, resserre de plus en plus la discipline en inculquant le précepte. C'est là que se font les exhortations et les corrections, là que se prononcent les censures au nom de Dieu. Assurés que nous sommes toujours en sa présence, nous jugeons avec maturité, et c'est un terrible préjugé pour le jugement futur, que d'avoir mérité d'être banni de la communion des prières, de nos assemblées et de tout ce saint commerce. Des vieillards recommandables président; ils parviennent à cette distinction, non par argent, mais par le témoignage d'un mérite éprouvé. Rien de ce qui concerne les choses de Dieu ne s'achète; si l'on trouve chez nous une sorte de trésor, nous n'avons pas à rougir d'avoir vendu la religion pour l'amasser. Chacun apporte tous les mois son modique tribut, lorsqu'il le veut, s'il le peut, et dans la mesure de ses moyens; personne n'y est obligé: rien de plus libre, de plus volontaire que cette contribution. C'est là comme un dépôt de piété qui ne se consume point en débauches, en festins, ni en stériles prodigalités; il n'est employé qu'à la nourriture des indigents, aux frais de leur sépulture, à l'entretien des orphelins délaissés, des domestiques cassés de vieillesse, des malheureux naufragés. S'il y a des Chrétiens condamnés aux mines, relégués dans les îles ou détenus dans les prisons, uniquement pour la cause de Dieu, la religion qu'ils ont confessée les nourrit de ses aumônes.
Il est vrai que l'exercice de cette charité a fourni contre nous de nouvelles armes à la calomnie. «Voyez, s'écrie-t-on, comme ils s'aiment! » car, pour nos censeurs, ils se. haïssent mutuellement. « Voyez comme ils sont prêts à mourir les uns pour les autres! » Pour eux, s'ils sont disposés à quelque chose, c'est plutôt à s'entre-égorger. Quant au nom de frère que nous nous donnons, ils le décrient, parce que chez eux les noms de parenté ne sont que des expressions trompeuses d'attachement. Cependant nous sommes aussi vos frères par le droit de la nature, la mère commune du genre humain. Il est vrai que vous êtes de mauvais frères; à peine êtes-vous des hommes. De véritables frères, ceux qui méritent ce titre, sont ceux qui reconnaissent pour père le même Dieu, qui ont reçu les effusions du même esprit de sainteté, qui, sortis du même sein de l'ignorance, se sont inclinés avec transport devant le soleil de la vérité.
Mais peut-être que l'on nous conteste notre légitimité, ou parce que notre union fraternelle ne retentit jamais sur vos théâtres, ou parce que nous vivons en commun et en frères des mômes biens qui chez vous arment le frère contre le frère. Fondus les uns dans les autres par un saint mélange, nous ne faisons aucune difficulté de partager nos biens; tout est commun dans notre société, hormis les femmes. Nous sommes divisés d'avec les autres hommes par le seul point qui les unit; non-seulement ils usurpent la couche conjugale de leurs amis, ils leur ouvrent complaisamment la leur, à l'imitation sans doute de leurs sages les plus vantés, d'un Socrate chez les Grecs, d'un Caton chez les Romains, qui abandonnèrent à leurs amis des femmes qu'ils avaient épousées, afin qu'elles leur donnassent des enfants dont ils ne seraient pas les pères. Etait-ce malgré elles? j'en doute fort. Indignement prostituées par leurs propres maris, pouvaient-elles se montrer bien jalouses de la chasteté conjugale? O sagesse attique! ô gravité romaine! un philosophe, un censeur donner leçon d'impudicité!
Quelle merveille que les Chrétiens, avec la tendre charité qui les anime, aient des banquets communs? Car vous accusez aussi nos modestes repas non-seulement d'infamie, mais encore de luxe. C'est apparemment pour nous que Diogène disait: « Les Mégariens mangent comme s'ils devaient mourir le lendemain; ils bâtissent comme s'ils ne devaient jamais mourir. » Mais on voit bien mieux une paille dans l'œil d'autrui qu'une poutre dans le sien. Quoi! l'air est infecté des repas de tant de tribus, de curies, de décuries! A chaque festin des Saliens, nouvel emprunt! Il faut de longs et pénibles calculs pour supputer les frais des festins en l'honneur d'Hercule. On choisit les plus habiles cuisiniers pour les Apaturies, les Dionysies et les mystères de l'Attique. La fumée des soupers de Sérapis éveille les gardes préposés à l'incendie, et l'on ne parle que de la magnificence de nos banquets!
Le nom qu'ils portent en indique le caractère: on les appelle agapes, d'un mot grec qui signifie charité. Si coûteux qu'on les suppose, une dépense faite au nom de la piété se convertit en gain; par là, en effet, nous soulageons les pauvres. Nous ne rassemblons point comme vous une tourbe de parasites qui trouvent glorieux de vendre leur liberté, et viennent s'engraisser à vos tables au prix de mille avanies. Nous traitons les indigents comme des hommes sur qui la divinité attache ses regards avec plus de complaisance.
Si le motif de nos repas n'a rien que d'honnête, jugez de tout ce qu'on y fait par l'esprit de religion qui y préside. On n'y souffre rien de bas, rien d'immodeste; on ne touche aux aliments qu'après avoir nourri son ame par la prière. On mange autant que la faim l'exige; on boit comme il convient à des hommes sobres et chastes; on se rassasie comme devant se relever pour prier Dieu pendant la nuit; on converse comme sachant que Dieu écoute. Après qu'on s'est lavé les mains et que les flambeaux sont allumés, chacun est invité à chanter les louanges de Dieu, qu'il tire des saintes Ecritures, ou qu'il compose lui-même: c'est l'épreuve de sa tempérance. Le repas se termine comme il a commencé, par la prière. On sort de là, non pour courir les rues en bandes tumultueuses, non pour se provoquer au désordre, à l'insolence, au meurtre, mais avec modestie, avec pudeur; on sort d'une école de vertu plutôt que d'un souper.
Condamnez, proscrivez nos assemblées si elles ont quelque ressemblance avec les assemblées dangereuses et criminelles, si on peut leur adresser les mêmes reproches qu'aux factions ordinaires. Mais quand y avons-nous concerté quelque perfide complot? Réunis ou séparés, dans le secret de nos maisons ou bien tous ensemble, nous sommes toujours les mêmes, n'offensant personne, ne contristant personne.
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The Apology
Chapter XXXIX.
I shall at once go on, then, to exhibit the peculiarities of the Christian society, that, as I have refuted the evil charged against it, I may point out its positive good. 1 We are a body knit together as such by a common religious profession, by unity of discipline, and by the bond of a common hope. We meet together as an assembly and congregation, that, offering up prayer to God as with united force, we may wrestle with Him in our supplications. This violence God delights in. We pray, too, for the emperors, for their ministers and for all in authority, for the welfare of the world, for the prevalence of peace, for the delay of the final consummation. 2 We assemble to read our sacred writings, if any peculiarity of the times makes either forewarning or reminiscence needful. 3 However it be in that respect, with the sacred words we nourish our faith, we animate our hope, we make our confidence more stedfast; and no less by inculcations of God's precepts we confirm good habits. In the same place also exhortations are made, rebukes and sacred censures are administered. For with a great gravity is the work of judging carried on among us, as befits those who feel assured that they are in the sight of God; and you have the most notable example of judgment to come when any one has sinned so grievously as to require his severance from us in prayer, in the congregation and in all sacred intercourse. The tried men of our elders preside over us, obtaining that honour not by purchase, but by established character. There is no buying and selling of any sort in the things of God. Though we have our treasure-chest, it is not made up of purchase-money, as of a religion that has its price. On the monthly day, 4 if he likes, each puts in a small donation; but only if it be his pleasure, and only if he be able: for there is no compulsion; all is voluntary. These gifts are, as it were, piety's deposit fund. For they are not taken thence and spent on feasts, and drinking-bouts, and eating-houses, but to support and bury poor people, to supply the wants of boys and girls destitute of means and parents, and of old persons confined now to the house; such, too, as have suffered shipwreck; and if there happen to be any in the mines, or banished to the islands, or shut up in the prisons, for nothing but their fidelity to the cause of God's Church, they become the nurslings of their confession. But it is mainly the deeds of a love so noble that lead many to put a brand upon us. See, they say, how they love one 5 another, for themselves are animated by mutual hatred; how they are ready even to die for one another, for they themselves will sooner put to death. And they are wroth with us, too, because we call each other brethren; for no other reason, as I think, than because among themselves names of consanguinity are assumed in mere pretence of affection. But we are your brethren as well, by the law of our common mother nature, though you are hardly men, because brothers so unkind. At the same time, how much more fittingly they are called and counted brothers who have been led to the knowledge of God as their common Father, who have drunk in one spirit of holiness, who from the same womb of a common ignorance have agonized into the same light of truth! But on this very account, perhaps, we are regarded as having less claim to be held true brothers, that no tragedy makes a noise about our brotherhood, or that the family possessions, which generally destroy brotherhood among you, create fraternal bonds among us. One in mind and soul, we do not hesitate to share our earthly goods with one another. All things are common among us but our wives. We give up our community where it is practised alone by others, who not only take possession of the wives of their friends, but most tolerantly also accommodate their friends with theirs, following the example, I believe, of those wise men of ancient times, the Greek Socrates and the Roman Cato, who shared with their friends the wives whom they had married, it seems for the sake of progeny both to themselves and to others; whether in this acting against their partners' wishes, I am not able to say. Why should they have any care over their chastity, when their husbands so readily bestowed it away? O noble example of Attic wisdom, of Roman gravity--the philosopher and the censor playing pimps! What wonder if that great love of Christians towards one another is desecrated by you! For you abuse also our humble feasts, on the ground that they are extravagant as well as infamously wicked. To us, it seems, applies the saying of Diogenes: "The people of Megara feast as though they were going to die on the morrow; they build as though they were never to die!" But one sees more readily the mote in another's eye than the beam in his own. Why, the very air is soured with the eructations of so many tribes, and curiae, and decuriae. The Salii cannot have their feast without going into debt; you must get the accountants to tell you what the tenths of Hercules and the sacrificial banquets cost; the choicest cook is appointed for the Apaturia, the Dionysia, the Attic mysteries; the smoke from the banquet of Serapis will call out the firemen. Yet about the modest supper-room of the Christians alone a great ado is made. Our feast explains itself by its name. The Greeks call it agapè, i.e., affection. Whatever it costs, our outlay in the name of piety is gain, since with the good things of the feast we benefit the needy; not as it is with you, do parasites aspire to the glory of satisfying their licentious propensities, selling themselves for a belly-feast to all disgraceful treatment,--but as it is with God himself, a peculiar respect is shown to the lowly. If the object of our feast be good, in the light of that consider its further regulations. As it is an act of religious service, it permits no vileness or immodesty. The participants, before reclining, taste first of prayer to God. As much is eaten as satisfies the cravings of hunger; as much is drunk as befits the chaste. They say it is enough, as those who remember that even during the night they have to worship God; they talk as those who know that the Lord is one of their auditors. After manual ablution, and the bringing in of lights, each 6 is asked to stand forth and sing, as he can, a hymn to God, either one from the holy Scriptures or one of his own composing,--a proof of the measure of our drinking. As the feast commenced with prayer, so with prayer it is closed. We go from it, not like troops of mischief-doers, nor bands of vagabonds, nor to break out into licentious acts, but to have as much care of our modesty and chastity as if we had been at a school of virtue rather than a banquet. Give the congregation of the Christians its due, and hold it unlawful, if it is like assemblies of the illicit sort: by all means let it be condemned, if any complaint can be validly laid against it, such as lies against secret factions. But who has ever suffered harm from our assemblies? We are in our congregations just what we are when separated from each other; we are as a community what we are individuals; we injure nobody, we trouble nobody. When the upright, when the virtuous meet together, when the pious, when the pure assemble in congregation, you ought not to call that a faction, but a curia--[i.e., the court of God.]
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[Elucidation VII.] ↩
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[Chap. xxxii. supra p. 43.] ↩
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[An argument for Days of Public Thanksgiving, Fasting and the like.] ↩
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[On ordinary Sundays, "they laid by in store," apparently: once a month they offered.] ↩
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[A precious testimony, though the caviller asserts that afterwards the heathen used this expression derisively.] ↩
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[Or, perhaps--"One is prompted to stand forth and bring to God, as every one can, whether from the Holy Scriptures, or of his own mind"--i.e. according to his taste.] ↩