CHAPITRE XVIII. AUTRE OBJECTION RÉFUTÉE : LA NÉCESSITÉ DE DISPENSER LA PAROLE DE DIEU. PAUL AVAIT DISTRIBUÉ SON TEMPS ENTRE LA PRÉDICATION ET LE TRAVAIL. — LA MEILLEURE ADMINISTRATION EST CELLE OU TOUT SE FAIT AVEC ORDRE.
21. Supposons toutefois qu'il faille charger tel moine en particulier du ministère de la parole, et qu'il y soit assez occupé pour n'avoir plus le temps de travailler : s'ensuit-il que tous les autres habitants du monastère puissent, comme lui, quand viennent leurs frères de condition séculière, leur expliquer les textes sacrés ou élucider une question quelconque ? Quand bien même tous les moines auraient ce talent, chacun devrait n'en user qu'à tour de rôle, non-seulement pour laisser aux autres la facilité de s'occuper des travaux nécessaires, mais aussi parce qu'il suffit qu'un seul parle, même quand plusieurs écoutent.
L'Apôtre lui-même aurait-il eu le temps de travailler de ses mains, s'il n'avait fixé des heures spéciales pour dispenser aux peuples la parole divine? Dieu lui-même n'a pas voulu nous laisser ignorer cette règle de saint Paul; nous savons par l'Ecriture sainte quel métier il exerçait, et quel temps aussi il employait à la prédication de l'Evangile.
A Troade, par exemple, l'Apôtre se trouvait pressé par l'approche imminente du jour fixé pour son départ. Aussi quand, le lendemain du sabbat, les frères se réunirent pour rompre le pain, telle fut l'ardeur et l'importance des entretiens sacrés, qu'ils se prolongèrent jusqu'à minuit, comme si chacun avait oublié que ce n'était pas un jour de jeûne1. —Au contraire , quand l'Apôtre habitait quelque temps une localité et qu'il y enseignait chaque jour , peut-on douter qu'il n'eût certaines heures spécialement consacrées à remplir ce devoir ? Ainsi , pendant son séjour dans Athènes, trouvant en cette ville les plus empressés chercheurs de toutes choses, il suivit la ligne de conduite que nous indique l'Ecriture : « Avec les Juifs, il discutait dans la synagogue ; avec les Gentils, habitants de la cité, il parlait en place publique et pendant tout le jour, s'adressant à tous ceux qui s'y trouvaient2 ». En effet, la synagogue ne l'appelait pas tous les jours, puisque la coutume n'y imposait de prédication que le sabbat; tandis qu' « en place publique, dit le texte sacré, il prêchait tous les jours », sans doute à cause des habitudes des Athéniens. Car, continue le texte sacré, quelques-uns des philosophes Epicuriens et Stoïciens conféraient avec lui. Et un peu plus bas : « Or les Athéniens et tous les étrangers qui demeuraient dans leur ville, ne passaient tout leur temps qu'à dire ou à entendre quelque chose de nouveau ».
Supposons que l'Apôtre n'a pu travailler des mains durant tout le séjour qu'il fit à Athènes; c'est pour cela que les frères de Macédoine suppléaient alors à ses besoins, comme il le dit dans la seconde épître aux Corinthiens; quoique après tout il ait pu travailler encore à d'autres heures et pendant les nuits, parce que sa force de corps et d'âme pouvait y suffire.
Mais une fois sorti d'Athènes, que dit de lui l'Ecriture ? « Il prêchait dans la synagogue tous les jours de sabbat3 ». Ceci se passait à Corinthe. Toutefois, lorsqu'à Troade la nécessité d'un prochain départ le força de prolonger l'entretien jusqu'à minuit, c'était le lendemain du sabbat, que nous appelons le dimanche4. Cette circonstance nous apprend qu'il se trouvait alors non plus avec les Juifs, mais avec les chrétiens, d'autant plus que l'historien sacré lui-même nous dit qu'ils étaient réunis pour la fraction du pain. Voilà, en effet, la plus sage manière de se gouverner ; c'est de distribuer ainsi toutes choses en leur -temps, et de faire chacune à son tour; on évite par là une confusion, un tumulte d'affaires qui jette l'esprit humain dans un trouble inextricable.