Translation
Hide
La cité de dieu
CHAPITRE IV.
DE PLATON, PRINCIPAL DISCIPLE DE SOCRATE, ET DE SA DIVISION DE LA PHILOSOPHIE EN TROIS PARTIES.
Mais entre tous les disciples de Socrate, celui qui à bon droit effaça tous les autres par l’éclat de la gloire la plus pure, ce fut Platon. Né athénien, d’une famille honorable, son merveilleux génie le mit de bonne heure au premier rang. Estimant toutefois que la doctrine de Socrate et ses propres recherches ne suffisaient pas pour porter la philosophie à sa perfection, il voyagea longtemps et dans les pays les plus divers, partout où la renommée lui promettait quelque science à recueillir. C’est ainsi qu’il apprit en Egypte toutes les grandes choses qu’on y enseignait; il se dirigea ensuite vers les contrées de l’Italie où les pythagoriciens étaient en honneur1, et là, dans le commerce des maîtres les plus éminents, il s’appropria aisément toute la philosophie de l’école italique. Et comme il avait pour Socrate un attachement singulier, il le mit en scène dans presque tous ses dialogues, unissant ce qu’il avait appris d’autres philosophes, et même ce qu’il avait trouvé par les plus puissants efforts de sa propre intelligence, aux grâces de la conversation de Socrate et à ses entretiens familiers sur la morale, Or, si l’étude de la sagesse consiste dans l’action et dans la spéculation, ce qui fait qu’on peut appeler l’une de ses parties, active et l’autre spéculative, la partie active se rapportant à la conduite de la vie, c’est-à-dire aux moeurs, et la partie spéculative à la recherche des causes naturelles et de la vérité en soi, on peut dire que l’homme qui avait excellé dans la partie active, c’était Socrate, et que celui qui s’était appliqué de préférence à la partie contemplative avec toutes les forces de son génie, c’était Pythagore. Platon réunit ces deux parties, et s’acquit ainsi la gloire d’avoir porté la philosophie àsa perfection. Il la divisa en trois branches la morale, qui regarde principalement l’action; la physique, dont l’objet est la spéculation; la logique enfin, qui distingue le vrai d’avec le faux; or, bien que cette dernière science soit également nécessaire pour la spéculation et pour l’action, c’est à la spéculation toutefois qu’il appartient plus spécialement d’étudier la nature du vrai, par où l’on voit que la division de la philosophie en trois parties s’accorde avec la distinction de la science spéculative et de la science pratique2, De savoir maintenant quels ont été les sentiments de Platon sur chacun de ces trois objets, c’est-à-dire où il a mis la fin de toutes les actions, la cause de tous les êtres et la lumière de toutes les intelligences, ce serait une question longue à discuter et qu’il ne serait pas convenable de trancher légèrement. Comme il affecte constamment de suivre la méthode de Socrate, interlocuteur ordinaire de ses dialogues, lequel avait coutume, comme on sait, de cacher sa science ou ses opinions, il n’est pas aisé de découvrir ce que Platon lui-même pensait sur un grand nombre de points. Il nous faudra pourtant citer quelques passages de ses écrits, où, exposant tour à tour sa propre pensée et celle des autres, tantôt il se montre favorable à la religion véritable, à celle qui a notre foi et dont nous avons pris la défense, et tantôt il y paraît contraire, comme quand il s’agit, par exemple, de l’unité divine et de la pluralité des dieux, par rapport à la vie véritablement heureuse qui doit commencer après la mort. Au surplus, ceux qui passent pour avoir le plus fidèlement suivi ce philosophe, si supérieur à tous les autres parmi les gentils, et qui sont le mieux entrés dans le fond de sa pensée véritable, paraissent avoir de Dieu une si juste idée, que c’est en lui qu’ils placent la cause de toute existence, la raison de toute pensée et la fin de toute vie : trois principes dont le premier appartient à la physique, le second à la logique, et le troisième à la morale; et véritablement, si l’homme a été créé pour atteindre, à l’aide de ce qu’il y a de plus excellent en lui, ce qui surpasse tout en excellence, c’est-à-dire un seul vrai Dieu souverainement bon, sans lequel aucune nature n’a d’existence, aucune science de certitude, aucune action d’utilité, où faut-il donc avant tout le chercher, sinon où tous les êtres ont un fondement assuré, où toutes les vérités deviennent certaines, et où se rectifient toutes nos affections?
-
Des différents biographes de Platon, saint Augustin paraît ici suivre de préférence Apulée, qui place le voyage de Platon en Egypte avant ses voyages en Sicile et en Italie. (De dogm. Plat., init.) — Diogène Laërce (livre III) et Olympiodore (Vie de Platon, dans le Comment. sur le premier Alcibiade, publié par M. Creuzer) conduisent Platon en Sicile et le mettent en communication avec les pythagoriciens avant le voyage en Egypte. ↩
-
On chercherait vainement dans les dialogues de Platon cette division régulière de la philosophie en trois parties, qui n’a été introduite que pins tard, après Piston et même après Aristote. Il semble que saint Augustin n’ait pas soue les yeux les écrits de Piston et ne juge sa doctrine que sur la foi de ses disciples et à l’aide d’ouvrages de seconde main. ↩
Edition
Hide
De civitate Dei (CCSL)
Caput IV: De praecipuo inter Socratis discipulos Platone, qui omnem philosophiam triplici partitione distinxit.
Sed inter discipulos Socratis, non quidem inmerito, excellentissima gloria claruit, qua omnino ceteros obscuraret, Plato. qui cum esset Atheniensis honesto apud suos loco natus et ingenio mirabili longe suos condiscipulos anteiret, parum tamen putans perficiendae philosophiae sufficere se ipsum ac Socraticam disciplinam, quam longe ac late potuit peregrinatus est, quaquauersum eum alicuius nobilitatae scientiae percipiendae fama rapiebat. itaque et in Aegypto didicit quaecumque magna illic habebantur atque docebantur, et inde in eas Italiae partes ueniens, ubi Pythagoreorum fama celebrabatur, quidquid Italicae philosophiae tunc florebat, auditis eminentioribus in ea doctoribus facillime conprehendit. et quia magistrum Socratem singulariter diligebat, eum loquentem faciens fere in omnibus sermonibus suis etiam illa, quae uel ab aliis didicerat, uel ipse quanta potuerat intellegentia uiderat, cum illius lepore et moralibus disputationibus temperauit. itaque cum studium sapientiae in actione et contemplatione uersetur, unde una pars eius actiua, altera contemplatiua dici potest - quarum actiua ad agendam uitam, id est ad mores instituendos pertinet, contemplatiua autem ad conspiciendas naturae causas et sincerissimam ueritatem - : Socrates in actiua excelluisse memoratur; Pythagoras uero magis contemplatiuae, quibus potuit intellegentiae uiribus, institisse. proinde Plato utrumque iungendo philosophiam perfecisse laudatur, quam in tres partes distribuit: unam moralem, quae maxime in actione uersatur; alteram naturalem, quae contemplationi deputata est; tertiam rationalem, qua uerum disterminatur a falso. quae licet utrique, id est actioni et contemplationi, sit necessaria, maxime tamen contemplatio perspectionem sibi uindicat ueritatis. ideo haec tripertitio non est contraria illi distinctioni, qua intellegitur omne studium sapientiae in actione et contemplatione consistere. quid autem in his uel de his singulis partibus Plato senserit, id est, ubi finem omnium actionum, ubi causam omnium naturarum, ubi lumen omnium rationum esse cognouerit uel crediderit, disserendo explicare et longum esse arbitror et temere adfirmandum esse non arbitror. cum enim magistri sui Socratis, quem facit in suis uoluminibus disputantem, notissimum morem dissimulandae scientiae uel opinionis suae seruare adfectat, quia et illi iste mos placuit, factum est ut etiam ipsius Platonis de rebus magnis sententiae non facile perspici possint. ex his tamen, quae apud eum leguntur, siue quae dixit, siue quae ab aliis dicta esse narrauit atque conscripsit, quae sibi placita uiderentur, quaedam commemorari et operi huic inseri oportet a nobis, uel ubi suffragatur religioni uerae, quam fides nostra suscipit ac defendit, uel ubi ei uidetur esse contrarius, quantum ad istam de uno deo et pluribus pertinet quaestionem, propter uitam, quae post mortem futura est, ueraciter beatam. fortassis enim qui Platonem ceteris philosophis gentium longe recteque praelatum acutius atque ueracius intellexisse ac secuti esse fama celebriore laudantur, aliquid tale de deo sentiunt, ut in illo inueniatur et causa subsistendi et ratio intellegendi et ordo uiuendi; quorum trium unum ad naturalem, alterum ad rationalem, tertium ad moralem partem intellegitur pertinere. si enim homo ita creatus est, ut per id, quod in eo praecellit, adtingat illud, quod cuncta praecellit, id est unum uerum optimum deum, sine quo nulla natura subsistit, nulla doctrina instruit, nullus usus expedit: ipse quaeratur, ubi nobis seria sunt omnia; ipse cernatur, ubi nobis certa sunt omnia; ipse diligatur, ubi nobis recta sunt omnia.