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La cité de dieu
CHAPITRE V.
IL FAUT DISCUTER DE PRÉFÉRENCE AVEC LES PLATONICIENS EN MATIÈRE DE THÉOLOGIE, LEURS OPINIONS ÉTANT MEILLEURES QUE CELLES DE TOUS LES AUTRES PHILOSOPHES.
Si Platon a défini le sage celui qui imite le vrai Dieu, le connaît, l’aime et trouve la béatitude dans sa participation avec lui, à quoi bon discuter contre les philosophes? il est clair qu’il n’en est aucun qui soit plus près de nous que Platon. Qu’elle cède donc aux platoniciens cette théologie fabuleuse qui repaît les âmes des impies des crimes de leurs dieux! qu’elle leur cède aussi cette théologie civile où les démons impurs, se donnant pour des dieux afin de mieux séduire les peuples asservis aux voluptés de la terre, ont voulu consacrer l’erreur, faire de la représentation de leurs crimes une cérémonie du culte, et trouver ainsi pour eux-mêmes, dans les spectateurs de ces jeux, le plus agréable des spectacles : théologie impure où ce que les temples peuvent avoir d’honnête est corrompu par son mélange avec les. infamies du théâtre, et où ce que le théâtre a d’infâme est justifié par les abominations des temples! Qu’elles cèdent encore à. ces philosophes les explications de Varron qui a voulu rattacher le paganisme à la terre et au ciel, aux semences et aux opérations de la nature; car, d’abord, les mystères du culte païen n’ont pas le sens qu’il veut leur donner, et par conséquent la vérité lui échappe en dépit de tous ses efforts; de plus, alors même qu’il aurait raison, l’âme raisonnable ne devrait pas adorer comme son Dieu ce qui est au-dessous d’elle dans l’ordre de la nature, ni préférer à soi, comme des divinités, des êtres auxquels le vrai Dieu l’a préférée. Il faut en dire autant de ces écrits que Numa consacra en effet aux mystères sacrés1, mais qu’il prit soin d’ensevelir avec lui, et qui, exhumés par la charrue d’un laboureur, furent livrés aux flammes par le sénat; et pour traiter plus favorablement Numa, mettons au même rang cette lettre2 où Alexandre de Macédoine, confiant à sa mère les secrets que lui avaient dévoilés un certain Léon, grand-prêtre égyptien, lui faisait voir non-seulement que Picus, Faunus, Enée, Romulus, ou encore Hercule, Esculape, Liber, fils de Sémélé, les Tyndarides et autres mortels divinisés, mais encore les grands dieux, ceux dont Cicéron a l’air de parler dans les Tusculanes3 sans les nommer, Jupiter, Junon, Saturne, Vulcain, Vesta et plusieurs autres dont Varron a fait les symboles des éléments et des parties du monde, on été des hommes, et rien de plus; or, ce prêtre égyptien craignant, lui aussi, que ces mystères ne vinssent à être divulgués, pria Alexandre de recommander à sa mère de jeter sa lettre au feu. Que cette théologie donc, civile et fabuleuse, cède aux philosophes platoniciens qui ont reconnu le vrai Dieu comme auteur de la nature, comme source de la vérité, comme dispensateur de la béatitude! et je ne parle pas seulement de la théologie païenne, mais que sont auprès de ces grands adorateurs d’un si grand Dieu tous les philosophes dont l’intelligence asservie au corps n’a donné à la nature que des principes corporels, comme Thalès qui attribue tout à l’eau, Anaximène à l’air, les stoïciens au feu, Epicure aux atomes, c’est-à-dire à de très-petits corpuscules invisibles et impalpables, et tant d’autres qu’il est inutile d’énumérer, qui ont cru que des corps, simples ou composés, inanimés ou vivants, mais après tout des corps, étaient la cause et le principe des choses. Quelques-uns, en effet, ont pensé que des choses vivantes pouvaient provenir de choses sans vie : c’est le sentiment des Epicuriens; d’autres ont admis que choses vivantes et choses sans vie proviennent d’un vivant ; mais ce sont toujours des corps qui proviennent d’un corps; car pour les stoïciens, c’est le feu , c’est-à-dire un corps un des quatre éléments qui constituent l’univers visible, qui est vivant, intelligent, auteur du monde et de tous les êtres, en un mot, qui est Dieu. Voilà donc les plus hautes pensées où aient pu s’élever ces philosophes et tous ceux qui ont cherché la vérité d’un coeur assiégé par les chimères des sens. Et cependant ils avaient en eux, d’une certaine manière, des objets que leurs sens ne pouvaient saisir; ils se représentaient au dedans d’eux-mêmes les choses qu’ils avaient vues au dehors, alors même qu’ils ne les voyaient plus par les yeux, mais seulement par la pensée. Or, ce qu’on voit de la sorte n’est plus un corps, mais son image, et ce qui perçoit dans l’âme cette image n’est ni un corps ni une image; enfin, le principe qui juge cette image comme étant belle ou laide, est sans doute supérieur à l’objet de son jugement. Ce principe, c’est l’intelligence de l’homme, c’est l’âme raisonnable ; et certes il n’a rien de corporel, puisque déjà l’image qu’il perçoit et qu’il juge n’est pas un corps. L’âme n’est donc ni terre, ni eau, ni air, ni feu, ni en général aucun de ces quatre corps nommés éléments qui forment le monde matériel. Et comment Dieu, Créateur de l’âme, serait-il un corps? Qu’ils cèdent donc, je le répète, aux platoniciens, tous ces philosophes, et je n’en excepte pas ceux qui, à la vérité, rougissent de dire que Dieu est un corps, mais qui le font de même nature que nos âmes. Se peut-il qu’ils n’aient point vu dans l’âme humaine cette étrange mutabilité, qu’on ne peut attribuer à Dieu sans crime ? Mais, disent-ils, c’est le corps qui rend l’âme changeante, car de soi elle est immuable. Que ne disent-ils aussi que ce sont les corps extérieurs qui blessent la chair et qu’elle est invulnérable de soi ? La vérité est que rien ne peut altérer l’immuable ; d’où il suit que ce qui peut être altéré par un corps n’est pas véritablement immuable.
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De civitate Dei (CCSL)
Caput V: Quod de theologia cum Platonicis potissimum disceptandum sit, quorum opinioni omnium philosophorum postponenda sint dogmata.
Si ergo Plato dei huius imitatorem cognitorem amatorem dixit esse sapientem, cuius participatione sit beatus, quid opus est excutere ceteros? nulli nobis quam isti propius accesserunt. cedat eis igitur non solum theologia illa fabulosa deorum criminibus oblectans animos inpiorum, nec solum etiam illa ciuilis, ubi inpuri daemones terrestribus gaudiis deditos populos deorum nomine seducentes humanos errores tamquam suos diuinos honores habere uoluerunt, ad spectandos suorum criminum ludos cultores suos tamquam ad suum cultum studiis inmundissimis excitantes et sibi delectabiliores ludos de ipsis spectatoribus exhibentes - ubi si qua uelut honesta geruntur in templis, coniuncta sibi theatrorum obscenitate turpantur, et quaecumque turpia geruntur in theatris, comparata sibi templorum foeditate laudantur - , et ea, quae Varro ex his sacris quasi ad caelum et terram rerumque mortalium semina et actus interpretatus est - quia nec ipsa illis ritibus significantur, quae ipse insinuare conatur, et ideo ueritas conantem non sequitur; et si ipsa essent, tamen animae rationali ea, quae infra illam naturali ordine constituta sunt, pro deo suo colenda non essent, nec sibi debuit praeferre tamquam deos eas res, quibus ipsam praetulit uerus deus - , et ea, quae Numa Pompilius reuera ad sacra eiusmodi pertinentia se cum sepeliendo curauit abscondi et aratro eruta senatus iussit incendi. - in eo genere sunt etiam illa, ut aliquid de Numa mitius suspicemur, quae Alexander Macedo scribit ad matrem sibi a magno antistite sacrorum Aegyptiorum quodam Leone patefacta, ubi non Picus et Faunus et Aeneas et Romulus uel etiam Hercules et Aesculapius et Liber Semela natus et Tyndaridae fratres et si quos alios ex mortalibus pro dis habent, sed ipsi etiam maiorum gentium di, quos Cicero in Tusculanis tacitis nominibus uidetur adtingere, Iuppiter, Iuno, Saturnus, Vulcanus, Vesta et alii plurimi, quos Varro conatur ad mundi partes siue elementa transferre, homines fuisse produntur. timens enim et ille quasi reuelata mysteria petens admonet Alexandrum, ut, cum ea matri conscripta insinuauerit, flammis iubeat concremari. - non solum ergo ista, quae duae theologiae, fabulosa continet et ciuilis, Platonicis philosophis cedant, qui uerum deum et rerum auctorem et ueritatis inlustratorem et beatitudinis largitorem esse dixerunt; sed alii quoque philosophi, qui corporalia naturae principia corpori deditis mentibus opinati sunt, cedant his tantis et tanti dei cognitoribus uiris, ut Thales in umore, Anaximenes in aere, Stoici in igne, Epicurus in atomis, hoc est minutissimis corpusculis, quae nec diuidi nec sentiri queunt, et quicumque alii, quorum enumeratione inmorari non est necesse, siue simplicia siue coniuncta corpora, siue uita carentia siue uiuentia, sed tamen corpora, causam principiumque rerum esse dixerunt. nam quidam eorum a rebus non uiuis res uiuas fieri posse crediderunt, sicut Epicurei; quidam uero a uiuente quidem et uiuentia et non uiuentia, sed tamen a corpore corpora. nam Stoici ignem, id est corpus unum ex his quattuor elementis, quibus uisibilis mundus hic constat, et uiuentem et sapientem et ipsius mundi fabricatorem atque omnium, quae in eo sunt, eumque omnino ignem deum esse putauerunt. hi et ceteri similes eorum id solum cogitare potuerunt, quod cum eis corda eorum obstricta carnis sensibus fabulata sunt. in se quippe habebant quod non uidebant, et apud se imaginabantur quod foris uiderant, etiam quando non uidebant, sed tantummodo cogitabant. hoc autem in conspectu talis cogitationis iam non est corpus, sed similitudo corporis; illud autem, unde uidetur in animo haec similitudo corporis, nec corpus est nec similitudo corporis; et unde uidetur atque utrum pulchra an deformis sit iudicatur, profecto est melius quam ipsa quae iudicatur. haec mens hominis et rationalis animae natura est, quae utique corpus non est, si iam illa corporis similitudo, cum in animo cogitantis aspicitur atque iudicatur, nec ipsa corpus est. non est ergo nec terra nec aqua, nec aer nec ignis, quibus quattuor corporibus, quae dicuntur quattuor elementa, mundum corporeum uidemus esse conpactum. porro si noster animus corpus non est, quomodo deus creator animi corpus est? cedant ergo et isti, ut dictum est, Platonicis; cedant et illi, quos quidem puduit dicere deum corpus esse, uerumtamen eiusdem naturae, cuius ille est, animos nostros esse putauerunt; ita non eos mouit tanta mutabilitas animae, quam dei naturae tribuere nefas est? sed dicunt: corpore mutatur animae natura, nam per se ipsa incommutabilis est. poterant isti dicere: corpore aliquo uulneratur caro, nam per se ipsa inuulnerabilis est. prorsus quod mutari non potest, nulla re potest, ac per hoc quod corpore mutari potest, aliqua re potest et ideo incommutabile recte dici non potest.