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La cité de dieu
CHAPITRE VII.
DE LA DIVERSITÉ DES LANGUES QUI ROMPT LA SOCIÉTÉ DES HOMMES, ET DE LA MISÈRE DES GUERRES, MÊME LES PLUS JUSTES.
Après la cité, l’univers, troisième degré de la société civile ; car le premier, c’est la maison. Or, à mesure que le cercle s’agrandit, les périls s’accumulent. Et d’abord, la diversité des langues ne rend-elle pas l’homme en quelque façon étranger à l’homme? Que deux personnes, ignorant chacune la langue de l’autre, viennent à se rencontrer, et que la nécessité les oblige à demeurer ensemble, deux animaux muets, même d’espèce différente, s’associeront plutôt que ces deux créatures humaines, et un homme aimera mieux être avec son chien- qu’avec un étranger. Mais, dira-t-on, voici qu’une Cité faite pour l’empire, en imposant sa loi aux nations vaincues, leur a aussi donné sa langue, de sorte que les interprètes, loin de manquer, sont en grande abondance. Cela est vrai ; mais combien de guerres gigantesques, de carnage et de sang humain a-t-il fallu pour en venir là? Et encore, ne sommes-nous pas au bout de nos maux. Sans parler des ennemis extérieurs qui n’ont jamais manqué à l’empire romain et qui chaque jour le menacent encore, la vaste étendue de son territoire n’a-t-elle pas produit ces guerres mille fois plus dangereuses, guerres civiles, guerres sociales , fléaux du genre humain , dont la crainte seule est un grand mal? Que si j’entreprenais de peindre ces horribles calamités avec les couleurs qu’un tel sujet pourrait recevoir, mais que mon insuffisance ne saurait lui donner, quand verrait-on la fin de ce discours ? Mais, dira-t-on, le sage n’entreprendra que des guerres justes. Eh ! n’est-ce pas cette nécessité même de prendre les armes pour la justice qui doit combler le sage d’affliction, si du moins il se souvient qu’il est homme ? Car enfin, il ne peut faire une guerre juste-que pour punir l’injustice de ses adversaires, et cette injustice des hommes, même sans le cortège de la guerre, voilà ce qu’un homme ne peut pas ne pas déplorer. Certes, quiconque considérera des maux si grands et si cruels tombera d’accord qu’il y a là une étrange misère. Et s’il se rencontre un homme pour subir ces calamités ou seulement pour les envisager sans douleur, il est d’autant plus misérable de se croire heureux, qu’il ne se croit tel que pour avoir perdu tout sentiment humain.
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De civitate Dei (CCSL)
Caput VII: De diuersitate linguarum, qua societas hominum dirimatur, et de miseria bellorum, etiam quae iusta dicuntur.
Post ciuitatem uel urbem sequitur orbis terrae, in quo tertium gradum ponunt societatis humanae, incipientes a domo atque inde ad urbem, deinde ad orbem progrediendo uenientes; qui utique, sicut aquarum congeries, quanto maior est, tanto periculis plenior. in quo primum linguarum diuersitas hominem alienat ab homine. nam si duo sibi met inuicem fiant obuiam neque praeterire, sed simul esse aliqua necessitate cogantur, quorum neuter linguam nouit alterius, facilius sibi muta animalia, etiam diuersi generis, quam illi, cum sint homines ambo, sociantur. quando enim quae sentiunt inter se communicare non possunt propter solam diuersitatem linguae, nihil prodest ad consociandos homines tanta similitudo naturae; ita ut libentius homo sit cum cane suo quam cum homine alieno. at enim opera data est, ut imperiosa ciuitas non solum iugum, uerum etiam linguam suam domitis gentibus per pacem societatis inponeret, per quam non deesset, immo et abundaret etiam interpretum copia. uerum est; sed hoc quam multis et quam grandibus bellis, quanta strage hominum, quanta effusione humani sanguinis conparatum est? quibus transactis, non est tamen eorundem malorum finita miseria. quamuis enim non defuerint neque desint hostes exterae nationes, contra quas semper bella gesta sunt et geruntur: tamen etiam ipsa imperii latitudo peperit peioris generis bella, socialia scilicet et ciuilia, quibus miserabilius quatitur humanum genus, siue cum belligeratur, ut aliquando conquiescant, siue cum timetur, ne rursus exsurgant. quorum malorum multas et multiplices clades, duras et diras necessitates si ut dignum est eloqui uelim, quamquam nequaquam sicut res postulat possim, quis erit prolixae disputationis modus? sed sapiens, inquiunt, iusta bella gesturus est. quasi non, si se hominem meminit, multo magis dolebit iustorum necessitatem sibi extitisse bellorum, quia nisi iusta essent, ei gerenda non essent, ac per hoc sapienti nulla bella essent. iniquitas enim partis aduersae iusta bella ingerit gerenda sapienti; quae iniquitas utique homini est dolenda, quia hominum est, etsi nulla ex ea bellandi necessitas nasceretur. haec itaque mala tam magna, tam horrenda, tam saeua quisquis cum dolore considerat, miseriam fateatur; quisquis autem uel patitur ea sine animi dolore uel cogitat, multo utique miserius ideo se putat beatum, quia et humanum perdidit sensum.