18.
« Nous trouvons que dans toutes leurs épîtres les Apôtres exècrent et détestent la dépravation sacrilège des hérétiques, et les comparent à la gangrène qui répand de tous côtés la corruption ». Quoi donc? Ces hommes qui s’écriaient: « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain », ne travaillaient-ils pas à corrompre les bonnes moeurs par leurs conversations mauvaises, selon cette parole de l’Apôtre: « Les discours mauvais corrompent les bonnes moeurs? » Et cependant ce même apôtre nous indique clairement que ces hommes appartenaient à l’unité, puisqu’il ajoute : « Comment donc quelques-uns parmi vous peuvent-ils soutenir qu’il n’y a point de résurrection des morts (I Cor., XV, 32, 33, 12) ? ». Quant aux avares, peut-il prononcer leur nom sans le couvrir d’anathème? Et puis, pouvait-il formuler plus. énergiquement sa pensée, qu’en disant de l’avarice qu’elle est une idolâtrie (Eph., V, 5)? Ainsi l’a compris Cyprien, comme le prouvent clairement ses lettres, et cependant il n’hésite pas à proclamer qu’à l’époque où il vivait, l’Eglise renfermait dans son sein, non pas simplement des avares quelconques, mais des ravisseurs frauduleux du bien d’autrui ; et ces ravisseurs du bien d’autrui n’étaient pas de simples fidèles, mais des évêques. De tels hommes dont l’Apôtre a dit que « leur discours est comme une gangrène qui répand la corruption », je voudrais pouvoir dire qu’ils n’appartenaient pas à l’unité, mais Cyprien ne me laisse pas cette consolation. En effet, dans sa lettre à Antonianus, après avoir montré qu’avant la séparation suprême des justes et des pécheurs, le mélange des bons et des méchants ne saurait être un motif suffisant de se séparer de l’unité de l’Eglise ; après avoir prouvé par là son éminente sainteté et ses sublimes dispositions au martyre, il ajoute : « N’est-ce point le comble de l’arrogance, l’oubli le plus complet de l’humilité et de la douceur, et le suprême degré de la jactance, d’oser ou de se croire le pouvoir de faire ce que le Seigneur n’a pas même voulu permettre aux Apôtres, c’est-à-dire de séparer la zizanie du bon grain, de jeter la paille et de purifier l’aire, et cela d’une manière publique et solennelle? L’Apôtre n’a-t-il pas dit lui-même: Dans une grande maison se trouvent non-seulement des vases d’or et d’argent, mais encore des vases de bois ou d’argile? Et voici qu’un simple mortel se permet de choisir les vases d’or et d’argent, de mépriser, de rejeter et de condamner les vases de bois et d’argile, quand le Seigneur s’est réservé de jeter les vases de bois dans les flammes allumées par son courroux et de faire briser les vases d’argile par celui à qui a été confiée la verge de fer (Ps., II, 9 ; Lettre LV) » Ces reproches adressés par Cyprien à ceux qui sous prétexte d’échapper à la société des méchants, se séparaient de l’unité, nous prouvent qu’à ses yeux cette grande maison renfermant des vases d’or et d’argent, de bois et d’argile, ne signifiait autre chose que l’Eglise elle-même, destinée à porter dans son sein ici-bas des bons et des méchants, jusqu’à ce qu’elle soit purifiée par la justice toute-puissante du père de famille. Selon ces principes, l’Eglise figurée par cette grande maison renfermait des vases d’ignominie, et ces vases d’ignominie n’étaient autres que ces hommes dont les discours étaient une gangrène qui répandait au loin la corruption. C’est de ces hommes que l’Apôtre parlait longtemps à l’avance, quand il disait : « Les discours que tiennent certaines personnes sont comme une gangrène qui répand insensiblement sa corruption. De ce nombre sont Hyménée et Philète, qui se sont écartés de la vérité en disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui ont ainsi renversé la foi de quelques-uns. Mais le fondement de Dieu demeure ferme, ayant pour sceau cette parole : Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui; et cette autre: Que celui qui invoque le nom du Seigneur s’éloigne de l’iniquité. Dans une grande maison il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais aussi des vases de bois et d’argile (II Tim., II, 17-20) ».
Si donc ces hommes, dont les discours ressemblaient à la gangrène qui répand insensiblement sa corruption, étaient des vases d’ignominie dans la grande maison, c’est-à-dire dans l’Eglise, comme le comprend Cyprien lui-même, est-ce que cette gangrène allait jusqu’à souiller le baptême de Jésus-Christ ? N’est-il pas certain qu’un esclave du démon, fût-il dans le schisme ou l’unité, ne peut souiller ni en lui-même, ni en qui que ce soit le sacrement de Jésus-Christ ? Sans doute, « le discours qui se répand comme une gangrène jusqu’aux oreilles des auditeurs, ne confère pas la rémission des péchés (Cyp., lettre LXXIII, à Jubaianus.) » ; mais du moment que le baptême est administré selon la forme évangélique, la sainteté qu’il tient de sa divine institution lui est inviolablement conservée, malgré toute la perversité de celui qui l’administre ou de celui qui le reçoit. Supposé qu’il n’y ait de perversité que de la part du ministre, et que le sujet adhère à l’unité de l’Eglise par la foi, l’espérance et la charité, il est aussitôt rendu participant, non point de l’indignité du ministre, mais de la sainteté du mystère, et dès lors il reçoit pleine et entière rémission de ses péchés. Enfin cette rémission lui est conférée, non point par les paroles gangrenées du ministre, mais par les sacrements évangéliques découlant comme autant de ruisseaux de la source céleste. Au contraire, si le sujet lui-même est animé de dispositions criminelles, le sacrement qu’il reçoit ne lui est d’aucune utilité pour le salut, et cependant le sacrement demeure en lui avec toute sa sainteté, et ne lui sera jamais réitéré, supposé que le coupable vienne à se convertir.