35.
Les premiers humains, c'est-à-dire Adam, qui fut créé d'abord et seul dans sa virilité, et bientôt Eve sa femme qui fut tirée de lui, ont été frappés d'un juste et légitime châtiment, à cause de leur désobéissance au précepte qu'ils avaient reçu de Dieu. Le Seigneur, en effet, les avait menacés, en leur annonçant qu'ils mourraient de mort le jour où ils mangeraient du fruit défendu. On le voit donc, ils avaient reçu le pouvoir d'user, pour se nourrir, des fruits de tous les arbres qui étaient dans le paradis; et, dans le nombre de ceux que le Seigneur y avait plantés, se trouvait aussi l'arbre de vie. Par suite, la défense intimée de Dieu portait uniquement sur celui que lui-même avait appelé l'arbre de la science du bien et du mal. Ce nom marquait, d'ailleurs, les conséquences de l'usage que nos parents en voudraient faire ; c'était un avertissement;du bonheur qui récompenserait l'observation de cette défense, comme aussi du malheur qui en suivrait la transgression.
Ainsi, on est en droit de penser qu'avant le succès des perfides conseils du démon, nos pères s'abstinrent du fruit défendu ; mais aussi, qu'ils usèrent de tous les fruits permis, et par suite et même surtout de ceux que leur offrait l'arbre de vie. Quoi de plus absurde, en effet, que de les' supposer usant de tous les fruits pour se nourrir, et oubliant celui-là seul qui leur avait 'été permis à l'égal des autres, et dont la propriété utile et spéciale était d'empêcher que leur corps, même pendant sa période de vie animale et grossière, ne changeât tristement par l'injure des ans, et n'arrivât à la mort par la décrépitude ? En outre de ce bienfait que son fruit matériel conférait à l'homme matériel, l'arbre de vie rappelait, dans un sens mystique et sublime, le merveilleux effet que la sagesse, dont il était l'emblème, produirait sur l'âme raisonnable. Vivifiée par cet aliment sublime, l'âme humaine ne devait pas non plus se tourner vers le péché qui est sa souillure et sa mort. C'est de la sagesse, en effet, que l'Ecriture dit avec tant de vérité « qu'elle est l'arbre de c vie pour ceux qui l'embrassent1 ». — Ainsi, ce qu'était l'arbre de vie dans le paradis corporel, la sagesse l'était dans le paradis spirituel ; l'une donnait aux facultés extérieures de l'homme, et l'autre procurait aux facultés de l'homme intérieur cette vigueur vitale qui ne devait pas souffrir les vicissitudes du temps. Et nos pères, en conséquence, servaient Dieu par l'obéissance, hommage tant recommandé à leur piété, seul culte qui honore Dieu.
Impossible d'ailleurs de déclarer plus magnifiquement que par cette loi première, le prix éminent de l'obéissance en elle-même, et le privilège qu'elle a de suffire à elle seule pour maintenir la créature raisonnable dans la dépendance du Créateur. En effet, la loi interdisait un fruit qui n'avait rien de mauvais ; car loin de nous l'idée que le Créateur de tout bien, l'auteur de toutes choses, « et voici que toutes étaient bonnes2 », ait pu planter un arbre mauvais, même dans le paradis matériel. Non : mais l'homme, en se soumettant, et c'était pour lui le plus doux et le plus utile esclavage sous un tel maître, l'homme, dans l'idée de Dieu, devait apprendre ce que vaut à elle seule la vertu d'obéissance, seule imposée de lui à son serviteur, qui trouvait même son avantage à obéir, moins encore pour respecter les droits de son souverain, que pour être lui-même payé de ses services. Et c'est pourquoi nos premiers parents reçurent défense de toucher à un arbre dont le fruit ne leur aurait été aucunement nuisible s'ils en avaient mangé sans qu'il eût été au préalable défendu du ciel ; ils durent ainsi comprendre que le mal qu'ils éprouvèrent pour avoir touché après la défense, ne venait pas de l'arbre ni d'un fruit vénéneux qui les aurait empoisonnés, mais uniquement de l'obéissance violée par leur crime.