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J'admire le ton presque religieux avec lequel il s'écrie : « Si la nature vient de Dieu, le péché originel ne saurait exister en elle » ; mais ne pourrait-on pas lui répondre avec un accent plus religieux encore : Si la nature vient de Dieu, elle n'est accessible à aucun péché ? Ce serait pourtant une grossière erreur, celle même des Manichéens, qui prétendaient qu'aucune créature n'avait été tirée du néant, et entassaient dans la nature de Dieu tous les maux imaginables. Nous disons, nous, que le mal n'a pu prendre naissance que dans le bien, non pas dans le bien immuable et souverain qui est Dieu, mais dans le bien qui a été fait de rien par la sagesse de Dieu. Malgré le péché, l'homme tient donc encore à Dieu par quelque chose, car il n'est (740) homme que parce qu'il a été créé par Dieu. D'un autre côté, le mal n'existerait pas dans les enfants, si la volonté du premier homme n'avait pas péché, et si le péché originel n'était pas transmis par cette origine viciée. Il est donc dans l'erreur quand il accuse de manichéisme celui qui soutient l'existence du péché originel ; mais il serait parfaitement dans le vrai, s'il accusait de pélagianisme celui qui nie le péché originel. Est-ce donc seulement depuis la naissance malheureuse du manichéisme, que l'on présente les enfants à l'Eglise de Dieu pour leur conférer le baptême, l'exorcisme et l'insufflation, c’est-à-dire ces dons mystérieux qui nous prouvent qu'il faut avoir été arrachés à la puissance des ténèbres, pour pouvoir être transférés dans le royaume de Jésus-Christ1 ? Est-ce dans les livres de Manès que nous lisons pour la première fois que le Fils de l'Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu2 ; ou que le péché est entré dans le monde par un seul homme3 ; et autres vérités semblables que nous avons énumérées précédemment? Est-ce par Manès que nous apprenons que Dieu rend parfois les enfants responsables des péchés de leurs pères4 ; ou que, selon la parole du psaume : « J'ai été engendré dans l'iniquité, et ma mère m'a conçu dans le péché5», « L'homme est devenu semblable à la vanité, et ses jours passent comme une ombre6 », Mes jours ont «vieilli, ma substance est devenue comme un néant devant vous, et tout homme vivant n'est qu'une vanité universelle7 ? » Ecoutons les paroles suivantes : « Toute créature est soumise à la vanité8 », « Vanité des vanités, et tout est vanité ; quel fruit abondant l'homme retire-t-il des travaux qu'il accomplit sous l'ardeur du soleil9 ? » Un joug bien lourd pèse sur les enfants d'Adam depuis leur sortie du sein de leur mère, jusqu'au jour de leur sépulture dans «le sein de la mère des vivants 10 », « Tous meurent en Adam11 », « L'homme né de la femme n'obtient qu'une vie courte et pleine de misères, et tombe comme l'herbe des séchée ; il fuit comme une ombre et ne s'arrêtera pas ; avez-vous donc pris soin de cet homme, et l'avez-vous fait entrer en jugement devant vous ? Quel homme sera pur de toute souillure ; il n'en est pas un seul, lors même que sa vie sur la terre n'aurait été que d'un jour12 ». On voit à la simple lecture que les souillures dont nous parle Job ne peuvent désigner que les péchés ; nous en trouvons une nouvelle preuve dans un passage du prophète Zacharie, où il est dit à un prêtre, que l'on avait dépouillé de son vêtement souillé : « Je vous ai ôté vos péchés13 ». Or, il me semble que ces passages, et autres du même genre, qui proclament hautement que l'homme naît victime du péché et de la malédiction, ne nous sont pas présentés dans les écrits ténébreux des Manichéens, mais dans les lumineux ouvrages des catholiques.