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Si je ne me trompe, vous le combattez vous-même; et parce que vous vous flattez de soutenir courageusement la lutte, vous craignez d'être vaincu. Mais par qui donc, je vous prie, craignez-vous d'être vaincu? est-ce par le bien ou par le mal? Ou plutôt, ce que vous craignez, n'est-ce pas d'être vaincu par moi? voilà pourquoi vous niez le mal, et louez comme bon ce par quoi vous redoutez d'être vaincu ? En face de ces deux adversaires, quelles ne sont pas vos angoisses? ne voulez-vous pas tout à la fois vaincre Augustin par votre éloquence, et vaincre la passion par la continence? Vous ne comprenez donc pas qu'en luttant contre la concupiscence vous confessez qu'elle est mauvaise, et qu'en la louant vous sortez de la vérité? Par cela seul que vous combattez et louez le mal, la victoire contre vous me devient facile, il me suffit d'en appeler à votre propre témoignage. En effet, vous voulez triompher de la concupiscence en la combattant, et de moi en la Jouant; je rue contente de vous répondre Pour que celui qui loue soit vaincu, que celui qui combat prononce lui-même la sentence. Si la concupiscence est mauvaise, pourquoi la loue-t-il ? et si elle est bonne, pourquoi la combattre? Enfin, si elle n'est ni bonne ni mauvaise, pourquoi la louer, pourquoi la combattre? Tant que, vous vous déclarerez son adversaire, aussi longtemps vous vous déclarerez contre vous et en ma faveur. Par hasard cesseriez-vous de lutter contre la concupiscence, dans la crainte de vous trouver vaincu dans la discussion que vous engagez contre moi, dans la crainte aussi d'avoir à vous dire à vous-même : Quel que soit mon talent pour discuter, du moment que je lutte contre la concupiscence, je prouve évidemment qu'elle est mauvaise, malgré tous les éloges que je voudrais lui prodiguer. De grâce, abstenez-vous de cette résolution désespérée. Vous brûlez du désir de me vaincre, mais que suis-je donc par moi-même? Bien plutôt laissez-vous vaincre par la vérité, afin que vous triomphiez vous-même de la concupiscence. En cessant de lutter contre elle, votre victoire ne sera qu'une honteuse défaite, qui vous précipitera dans toutes les profondeurs de l'abîme. Ce serait le comble du mal, et encore n'auriez-vous point gagné votre procès, car vous auriez toujours à subir une double défaite qui vous serait infligée, par moi d'abord, et surtout par la vérité que je prêche. Quoi qu'il en soit, ne suffit-il pas pour le moment que vous soyez tout à la fois le panégyriste et l'adversaire de la concupiscence, pour qu'on ait le droit de vous dire vaincu par vos propres armes ? Ne louez-vous pas un mal que vous vous glorifiez de combattre? D'un autre côté, si vous cessez de combattre afin de vous épargner cette écrasante contradiction, je n'aurai plus devant moi qu'un esclave de la concupiscence, qu'un déserteur de la continence, et quelle facilité pour moi de le vaincre, non plus par ses propres armes, mais avec le glaive de la sagesse et de la vérité !
