58.
Voulant prouver que tout ce que l'on recouvre d'un voile impénétrable ne doit pas au péché son honteux caractère, vous citez, dans une énumération aussi longue que futile, une multitude de choses qui, dans notre corps, sont naturellement cachées. On dirait vraiment que toutes ces choses n'ont été cachées qu'après le péché, en même temps, sans doute, que ces premiers parents, dont nous nous occupons, voilaient sur eux, après le péché, ce qui les laissait insensibles avant la faute. « Cicéron », dites-vous, « nous rapporte de Balbus et de Cotta une discussion vraiment sérieuse1 ». Vous ajoutez que, « si vous en citez quelques passages, c'est afin de me couvrir de honte en me prouvant que, malgré la lumière éclatante de la loi sainte, j'étais loin de posséder ces notions que les païens avaient acquises avec les seuls secours de la raison ». Vous citez alors certaines paroles de Balbus pour nous apprendre ce que les Stoïciens pensaient de la diversité des sexes, des membres génitaux et de ces étranges passions qui président à l'union des corps. Toutefois, ces paroles, de Cicéron ou de n'importe qui, vous les faites précéder des réflexions suivantes : « L'auteur, à l'occasion des animaux, nous parle de la diversité des sexes, parce que la pudeur lui défendait de toucher, dans l'homme, à cette matière délicate ». De quelle pudeur parlez-vous? N'y a-t-il donc aucune honnêteté dans le sexe de l'homme, qui, est le chef-d'oeuvre de la création divine? Je vois que les Stoïciens vous ont appris à discuter les choses cachées, mais sans vous apprendre à rougir de ce qui est honteux. Vous rappelez ensuite «comment il décrit l'homme; comment il rattache les intestins à l'estomac, dans lequel se concentrent la nourriture et le breuvage ; les pourrions et le coeur ont pour fonction d'aspirer l'air du dehors; les intestins subissent différentes contractions dont les nerfs sont les agents principaux, et influent sur leur tortuosité et leur tension plus ou moins grande, selon que les aliments sont solides ou liquides ». Vous continuez ainsi jusqu'à ce qu'enfin l'auteur nous ait appris que « le résidu de l'alimentation est évacué par les divers gonflements et dépressions des intestins ». Puisque cette description pouvait également se faire pour les animaux, pourquoi donc a-t-il pris l'homme pour modèle? N'est-ce point parce que la pudeur ne s'en trouve pas offensée ? pas plus qu'elle n'est offensée quand on décrit la diversité des sexes dans les animaux; ce qu'on ne pourrait faire pour l'homme, sans blesser toutes les convenances? Ce sentiment de pudeur n'est autre que celui qui a poussé nos parents à se couvrir de feuillage, aussitôt après leur péché. Après une description complète des organes de digestion et d'évacuation, l'auteur ajoute
Il serait facile de montrer comment tout cela s'opère; mais je dois garder le silence, « pour ne mêler à ce discours rien de désagréable ». Il ne dit pas que ce qu'il pourrait ajouter serait immodeste ou honteux, mais seulement a désagréable ». En effet, tels sujets inspirent de l'horreur à cause de leur difformité ; d'autres, quoique beaux, blessent la pudeur ; et si j'en cherche la raison, je trouve que les premiers offensent la délectation, tandis que les seconds soulèvent ou éprouvent des commotions voluptueuses.
De la Nature des Dieux, liv. II. ↩
