27.
Vous ajoutez : «Si contre ma pensée je regarde comme invincible le mal de la concupiscence, je me constitue par là même l'avocat de la honte; et si je dis que ce mal, que j'ai appelé naturel, peut être vaincu, «c'est-à-dire évité », vous vous consolez en vous applaudissant de l'autre partie de la proposition que vous avez émise précédemment. «En effet », dites-vous, «les hommes peuvent éviter tout péché, quel qu'il soit, puisqu'ils peuvent vaincre le mal de la concupiscence. Car, si la passion est un mal naturel, et s'il est vaincu par l'amour de la vertu, combien plus doivent se laisser vaincre tous ces vices qui procèdent uniquement de la volonté ». J'ai déjà réfuté souvent, et sous des formes différentes, cette étrange doctrine. Tant que nous sommes sur cette terre, où la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair1, quelles que soient les victoires que nous remportions dans la lutte ; quel que soit le courage que nous déployions pour empêcher nos membres de devenir des armes d'iniquité pour le péché, et d'obéir à ses désirs2; cependant, sans parler des sens du corps, et me renfermant dans les oeuvres permises, je déclare que, par le fait même des excès de la volupté, des mouvements et des affections de notre pensée, nous ne devons pas perdre de vue que, «si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous3 ». C'est donc en vain que vous vous applaudissez de l'autre partie de votre proposition, à moins que, par une présomption sacrilège, vous ne rejetiez la maxime de l'apôtre saint Jean. Quant à la question pour le moment débattue, je dis de la concupiscence qu'elle est naturelle, en ce sens que tout homme l'apporte en naissant; de votre côté, vous allez bien plus loin, puisque vous soutenez que l'homme a été créé avec elle. De même j'affirme que cette passion doit être vaincue, et qu'on ne peut la vaincre qu'en lui résistant et en l'enchaînant; vous vous résignez vous-même à cet aveu, dans la crainte de m'entendre vous dire ce que vous m'avez dit à moi-même : «Vous vous déclarez l'avocat de la honte, si vous niez la nécessité de vaincre la passion » ; or, cette passion ne peut être vaincue qu'à la condition de lui faire la guerre. Ainsi donc nous disons tous deux de la passion qu'elle est naturelle et qu'elle peut être vaincue; or, de quoi triomphons-nous, est-ce du bien, est-ce du mal? C'est là toute la question. Mais quelle absurdité, dites-moi, de faire de la passion un ennemi à combattre, et de ne pas vouloir avouer que cet ennemi soit mauvais! J'admets, si vous le voulez, que vous soyez vainqueur du démon dans la guerre que vous faites à la concupiscence; mais du moins comprenez que, dans la perversité de votre doctrine, le démon remporte sur vous la victoire la plus éclatante.
