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Vous tressaillez pourtant, et prenant à mon égard. le ton superbe d'un vainqueur, vous vous écriez que je ne saurais plus que faire ni où me réfugier, si je me trouvais en face de mes juges, si je siégeais avec vous dans une assemblée de docteurs, si j'entendais retentir la trompette de la saine raison, ce serait vous sans doute qui en sonneriez, si enfin j'entendais le cliquetis des armes des assistants, vendus sans doute à votre cause. Vous me représentez donc le drame d'une discussion entre nous, et vous vous imaginez que, courbant sous le poids de votre puissante argumentation, je ne trouverais plus que répondre. J'admire vraiment ce beau rêve de votre coeur ; vous me placez en présence de juges Pélagiens ; à leurs grands applaudissements il vous est donné de faire éclater votre voix comme une trompette, de prêcher contre la foi catholique et la grâce de Jésus-Christ, seul moyen de salut pour les petits comme pour les grands, et de célébrer cette erreur qui vous est commune, à eux et à vous. Il est possible que Pélage, votre maître, ait trouvé de tels juges dans l'Eglise de Dieu sans qu'il y ait eu place, dans ce tribunal, pour un seul représentant de la croyance contraire. Comme les hommes ne jugent que sur les apparences, il a pu paraître absous, en sortant de ce tribunal, et encore se vit-il obligé de condamner publiquement vos erreurs. Pour moi, quelque part que vous soyez, ou que vous puissiez lire ces volumes, je vous place dans votre coeur, en face de ces juges, qui sont loin sans doute d'être mes amis, et par là même vos ennemis ; ils sont loin d'incliner en ma faveur, de se sentir séparés de vous, et blessés par votre conduite, et de se regarder comme vos adversaires dans cette discussion à laquelle j'ai résolu de les initier. Vous voyez que je ne songe nullement à vous donner comme juges des hommes qui n'ont jamais été, et n'existent pas encore, ou des savants dont la doctrine, sur la matière qui nous occupe, serait vague et incertaine. Je vous ai cité des saints, et dans la sainte Eglise d'illustres évêques, non pas des Platoniciens, des Aristotéliciens ou des disciples de Zénon, mais des docteurs qui, sans ignorer les lettres grecques ou latines, nous ont clairement prouvé qu'ils sont initiés à la parfaite connaissance des saintes Ecritures. Autant qu'il m'a paru nécessaire, j'ai choisi parmi leurs témoignages ceux qui m'ont paru les plus clairs et les plus explicites, afin que vous craigniez en eux, non pas leur propre personne, mais celui qui les a appelés pour s'en faire des vases utiles, et des temples saints. Or, tous ces saints se sont prononcés sur cette matière, à une époque où il est impossible de dire qu'ils aient favorisé les uns au détriment des autres. En effet, vous n'existiez pas encore, et nous n'avions pas à engager contre vous de discussion sur cette matière; vous n'étiez point encore là pour nous dire ce que vous nous répétez dans vos livres : «Que nous avons trompé la multitude ; que nous nous sommes fait un fantôme du nom des Célestiens et des Pélagiens pour effrayer les hommes; et que c'est par cette terreur que nous obtenons l'assentiment à notre doctrine ». Vous avez dit vous-même que « des juges doivent être exempts de haine, d'amitié, d'inimitié et de colère ». Des juges de ce genre sont assurément rares ; mais soyez persuadé de les trouver dans la personne d'Ambroise et de ceux de ses collègues; que je vous ai cités. Supposé même qu'ils n'aient pas toujours été aussi impassibles pendant leur vie, à l'égard des causes sur lesquelles ils ont été appelés à se prononcer, certainement ils l'étaient parfaitement quand ils ont prononcé leur sentence sur la cause qui nous occupe : de l'amitié ou de la haine, de la colère ou de la compassion, ils n'ont pu en éprouver ni pour nous, ni pour vous. La foi qu'ils ont trouvée dans l'Eglise, ils l'ont conservée; ce qu'ils ont appris, ils l'ont enseigné; ce qu'ils ont reçu de leurs pères, ils l'ont transmis à leurs enfants. Entre nous et vous aucun litige n'avait été soumis à leur tribunal, et ils se sont prononcés en notre faveur. Ni vous ni nous ne leur étions connus, et aujourd'hui nous vous citons la sentence qu'ils ont prononcée contre vous et pour nous. Nous ne combattions point encore contre vous, et ils nous ont décerné la palme de la victoire.