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Jul. Tu mens absolument quand tu dis que, suivant nous, chacun peut, par les forces de son libre arbitre et sans le secours de Dieu, remplir tous ses devoirs à l'égard de la suprême Majesté. En effet, nos devoirs envers Dieu sont très-multipliés, ils consistent à la fois dans l'observation des préceptes de la loi, dans la haine et la détestation du vice, dans la simplicité des moeurs, dans la participation aux saints mystères, enfin dans la connaissance des maximes que la foi chrétienne enseigne touchant la Trinité, touchant la résurrection et touchant une foule d'autres choses semblables ; comment dès lors peut-il se faire que nous disions eu des termes vagues : L'homme peut, par les forces de son libre arbitre et sans le secours de Dieu, rendre à celui-ci le culte qui lui est dû; puisque nous lisons dans l'Évangile ces paroles sorties de la bouche du Seigneur : « Je vous rends gloire, ô mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et due vous les avez révélées aux petits ; oui, mon Père, « parce qu'il vous a plu ainsi[^5]? » Car il est incontestable assurément que l'homme n'a pu par les seules forces de son libre arbitre parvenir à la connaissance de tous ces dogmes et de tous ces mystères : bien que la raison naturelle ait pu, comme le Maître des nations l'a déclaré expressément, enseigner aux hommes à ne point adorer les idoles et à ne point mépriser le Dieu qui se révélait à eux comme le créateur du monde même[^6]. Ainsi cette doctrine que tu nous attribues n'est enseignée ni -par nous, ni par aucun homme sage: nous affirmons au contraire qu'au moment de sa création l'homme reçoit de Dieu le libre arbitre et qu'il reçoit ensuite une multitude d'espèces de grâce divine, afin qu'il lui soit possible d'observer les commandements de Dieu ou de les transgresser. Et suivant nous, le libre arbitre consiste en ce que, malgré les témoignages si nombreux et si multipliés que Dieu nous donne de sa bonté, malgré les préceptes qu'il a inscrits dans sa loi, malgré les bénédictions qu'il répand sur nous, malgré les sacrements par lesquels il nous sanctifie, malgré les châtiments qu'il nous inflige, malgré les invitations qu'il nous adresse, malgré les lumières dont il nous environne, tout homme qui possède l'usage de la raison demeure libre de se conformer à la volonté divine, ou de la mépriser.
Aug. Tu énumères un si grand nombre de moyens dont Dieu se sert pour nous secourir, les préceptes qu'il inscrits dans sa loi, les bénédictions qu'il répand sur nous, les sacrements par lesquels il nous sanctifie, les châtiments dont il nous frappe, les invitations qu'il nous adresse, les lumières dont il nous environne » ; et tu ne parles pas de la charité qu'il répand dans nos coeurs, quoique l'apôtre saint Jean dise : « La charité vient de Dieu[^1] ». Le même apôtre dit encore à ce sujet: « Voyez quel amour le Père nous a témoigné, puisqu'il a voulu que nous fussions appelés et que nous fussions réellement enfants de Dieu[^2] ! » Cette charité qui est répandue dans le coeur humain par l’Esprit, et non point par la lettre, renferme aussi ce pouvoir dont saint Jean dit dans son Évangile : « Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu[^3] ». Vous au contraire vous prétendez que l'homme tient ce pouvoir de lui-même et de son libre arbitre ; car vous êtes animés de l'esprit de ce monde, non. pas de l'Esprit qui vient de Dieu ; et voilà pourquoi vous ne savez pas quels sont les dons que Dieu nous a faits[^4], C'est pour cette raison aussi que vous n'avez ni la paix avec l'Église, à laquelle vous ayez cessé d'appartenir ; ni la charité que vous niez être un don de Dieu ; ni la foi que vous avez abjurée en devenant hérétiques : « car la paix et la charité avec la foi sont données aux frères », non point par le libre arbitre humain, mais « par Dieu le a Père et par le Seigneur Jésus-Christ[^7] ». Si tu reconnais dans ces paroles la doctrine de l'Apôtre, reconnais donc dans les tiennes la doctrine d'un hérétique.
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Matt. XI, 25, 26.
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Rom. I, 20.
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I Jean, IV, 7.
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Id. III, 4.
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Jean, I, 12.
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I Cor. II, 12.
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Ephés. VI, 23.