49.
Jul. A la vérité, Manès a supposé et a cru que le Dieu de la lumière avait combattu contre le prince des ténèbres; il a ajouté que la substance de ce Dieu est retenue captive dans cet univers : mais il s'efforce de chercher dans la piété une excuse à cette cruelle infortune, en affirmant que ce Dieu a, comme un bon citoyen, combattu pour sa patrie, et qu'il a exposé ses membres précisément afin de ne point perdre ses royaumes. Toi à qui cette doctrine avait été enseignée, considère les progrès que tu as fait depuis que tu l'as abandonnée, du moins temporairement : Dieu, suivant toi, n'a, point subi la nécessité de combattre, mais il a volontairement rendu un jugement unique; il a contre lui, non pas des ennemis cachés, mais des crimes manifestes; enfin il n'a point livré sa substance, mais il a violé la justice éternelle. Je laisse à d'autres le soin de juger lequel de vous deux est le plus pervers: litais une chose tout à fait incontestable, c'est que vous professez tous deux des opinions impies. Manès attribue une injustice à son Dieu, quand il prétend qu'il condamnera au dernier jour les membres qu'il a livrés ; et toi tu affirmes qu'il est malheureux par cela même qu'il a souillé la gloire dont son nom était environné; et que, en persécutant l'innocence créée par lui, il a perdu la justice qui était son attribut le plus inviolable. Autant donc on est plus excusable d'être vaincu dans un combat que d'être vaincu par le vice, autant le Dieu inventé par ton maître l'emporte sur celui que tu nous présentes.
Aug. Puisqu'il te plaît de considérer les enfants comme innocents, éloigne d'eux, si tu le peux, le joug accablant qui pèse sur les enfants d'Adam dès le jour où ils sortent du ventre de leur mère[^1]. Certes, j'estime que l'Ecriture, d'où ces paroles sont tirées, savait mieux que toi en quoi consiste l'innocence de la créature, et en quoi consiste la justice du Créateur. Mais, si les enfants possèdent, l'innocence parfaite que tu leur attribues, n'est-il pas manifeste que la notion même de la justice divine disparaît en présence de ce joug accablant qui pèse sur eux? Conséquemment, puisque ce joug accablant qui pèse sur eux est conforme à la justice de Dieu, ils ne possèdent donc pas l'innocence parfaite due tu prétends être leur partage.A moins peut-être que, au milieu des difficultés dont cette question est pour toi la source, Dieu qui est juste, mais faible, n'ait cependant le pouvoir de te secourir dans cette conjoncture, en t'apprenant précisément qu'il n'a pas eu le pouvoir de venir au secours de ses images lorsqu'il s'agissait d'empêcher des innocents d'être accablés sous le poids d'un joug si dur et si cruel ; tu dirais alors que Dieu a voulu les secourir, parce qu'il est juste, mais qu'il n'a pas eu ce pouvoir, parce qu'il n'est pas tout-puissant; et tu sortirais ainsi de ces difficultés en abjurant le premier dogme de la foi par laquelle nous confessons tout d'abord dans le symbole que nous croyons en Dieu le Père tout-puissant. Ton Dieu donc, au milieu de tant et de si grands maux que souffrent les enfants, perdra ou bien la justice, ou bien la toute-puissance, ou bien le soin même des choses humaines: choisis à ton gré l'une ou l'autre de ces conclusions, et vois quel nom tu mériteras.
- Eccli. XI, 1.