53.
Jul. Voici en effet comment j'ai suivi dans ma réponse l'ordre de tes paroles: après avoir dit que Dieu est le créateur du ciel et de la terre et de tout ce qui est au ciel et sur la terre, j'ai ajouté : « Je n'ignore pas, en m'exprimant ainsi, qu'on publiera çà et là que nous ne croyons pas la grâce de Jésus-Christ nécessaire aux enfants. Cette doctrine offense à juste titre les peuples chrétiens et excite leur plus vive colère; si du moins ils ne nous regardaient pas comme les auteurs de cette maxime exécrable en elle-même ! car, de cette manière ils ne se rendraient pas coupables du crime de porter des jugements faux sur leurs frères, et ils montreraient qu'ils sont animés d'un zèle et d'un amour sincères polir la foi. Nous devons donc protéger cette partie de notre thèse contre les efforts violents des ennemis de la vérité, et par une confession en quelques mots fermer la bouche à nos détracteurs. Or, nous confessons tellement l'utilité de la grâce du baptême pour tous les âges, que nous frappons d'un éternel anathème quiconque ne regarde pas cette grâce comme nécessaire même aux enfants. Mais nous croyons aussi que cette grâce est riche en dons spirituels, puisque, la multiplicité et l'excellence des biens qu'elle confère étant égales à la multiplicité et à l'excellence des moyens dont elle dispose, elle guérit cependant toute sorte de personnes de toute sorte d'infirmités par un seul et unique moyen qui est à la fois un remède efficace et une source de biens inappréciables. Quand on confère ce sacrement, on ne doit point y faire des changements suivant la diversité des personnes ; car, dans la dispensation de ces dons, la grâce se proportionne elle-même aux besoins de ceux qui s'approchent pour la recevoir. L'excellence d'un art quelconque ne varie point suivant la diversité des matières dont il s'empare pour les embellir; il s'ennoblit en multipliant ses chefs-d'oeuvre, mais il demeure constamment le même et conserve les mêmes caractères ; de même aussi, il n'y a, dit l'Apôtre, qu'une seule foi et qu'un seul baptême[^1] : le nombre et le prix de leurs dons augmentent, mais ils ne changent pas pour cela dans l'ordre des mystères. De plus, les droits de la justice ne sont point lésés par cette grâce qui efface les souillures de l'iniquité; qui ne produit point le péché, mais le fait disparaître; qui, a en absolvant les coupables, ne calomnie point les innocents. Car, le Christ, rédempteur de son propre ouvrage, augmente par une libéralité continuelle les bienfaits dont son image lui est redevable; et ceux qu'il avait créés bons, il les rend meilleurs en les renouvelant et en les adoptant ». Celui-là donc mérite l'exécration de tous les gens de bien, qui pense que l'on doit refuser à quelques hommes cette grâce par laquelle le pardon est accordé aux coupables et par laquelle l'illumination spirituelle, l'adoption des enfants de Dieu, le droit de cité dans la Jérusalem céleste, la sanctification et l'élévation à la dignité de membres de Jésus-Christ, enfin la possession du royaume des cieux sont donnés aux mortels.
Aug. Parmi tous ces dons de la grâce divine que tu viens d'énumérer, tu prétends que le premier, c'est-à-dire le pardon accordé par cette grâce aux coupables, ne saurait être conféré aux petits enfants, parla raison que, suivant toi, ces enfants ne participent en rien au péché d'Adam. Pourquoi donc Dieu refuse-t-il aussi les autres dons de la grâce à une multitude d'enfants qui meurent dans le premier âge sans avoir reçu le baptême ? pourquoi, dis-je, ces enfants ne reçoivent-ils pas l'illumination spirituelle, l'adoption des enfants de Dieu, le droit de cité dans la Jérusalem céleste, la sanctification et l'élévation à la dignité de membres de Jésus-Christ, enfin la possession du royaume des cieux ? Dieu, à qui appartient la puissance suprême, refuserait-il tant de dons, et des dons si nécessaires, à une multitude de ses images qui n'ont, suivant vous, aucun péché, si la volonté contraire des enfants ne les rendait incapables de recevoir ces bienfaits ? Tu as dit, afin sans doute de détourner de vous les accusations odieuses de ceux qui prétendent que vous refusez aux enfants la grâce du baptême; tu as dit que quiconque croit devoir refuser cette grâce à quelqu'un, mérite l'exécration de tous les gens de bien. L'équité du Dieu tout-puissant ne la refuserait donc pas à une multitude innombrable d'enfants qui, soumis à sa toute-puissance , meurent sans l'avoir reçue, si d'après les lois mystérieuses de sa justice, ils ne méritaient aucun châtiment. Quiconque est, par une faveur gratuite, non point en vertu d'un droit véritable, délivré de ce jugement qui pèse sur tous ceux dont Adam est le père, doit se glorifier, non point dans ses propres mérites, mais dans le Seigneur. Si donc vous voulez échapper au mépris et à la haine dont l'Eglise catholique vous poursuit, souffrez que le Christ soit Jésus à l'égard des enfants. Mais pour qu'il soit Jésus à l'égard des enfants, il faut absolument qu'il leur confère ce pour quoi il a reçu ce nom ; en d'autres termes, il faut absolument qu'il les sauve de leurs péchés[^2]. Et si vous voulez éviter que les esprits chrétiens soient offensés, comme vous vous plaignez qu'ils le sont, parlez de cette grâce dans les mêmes termes qu'un docteur catholique, le savant Grégoire, quand il disait : « Vénère la naissance par laquelle tu as été délivré des liens de la naissance terrestre ». Conséquemment, tant que vous niez que les enfants soient, par cette naissance céleste, délivrés des liens de leur naissance terrestre, vous ne confessez nullement qu'ils puissent participer à cette grâce.
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Eph. IV, 5.
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Matt. I, 21.