96.
Jul. Conséquemment, tandis que les Catholiques confessent l'existence du libre arbitre, à raison duquel seul le Maître des nations écrit que nous devons comparaître devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à son corps suivant le bien ou le mal qu'il a fait[^5]; vous, au contraire, vous niez ce même libre arbitre, je ne dis pas seulement avec Manès, mais avec Jovinien, dont tu oses nous accuser de suivre la doctrine : votre langage est différent, mais votre impiété est la même que la sienne. Pour rendre cette vérité plus évidente, exposons séparément la doctrine de chacun. Nous disons, nous, que par le péché de l'homme la condition naturelle de celui-ci n'est point changée, mais seulement la qualité de ses mérites; c'est-à-dire, que même dans l'homme pécheur subsiste le libre arbitre qui fait partie de sa nature, et par lequel il peut cesser de commettre le péché, comme il a eu par lui le pouvoir de s'écarter du chemin de la justice.
Aug. Nous savons que, suivant vous, la condition de la nature humaine n'a pas été changée par le péché, précisément parce que vous avez abandonné la foi catholique : suivant celle-ci, en effet, le premier homme a été créé dans un état tel qu'il n'était en aucune manière assujetti à la nécessité de mourir; mais cette condition de la nature a été changée par le péché, et la mort est devenue pour l'homme une nécessité tellement inévitable, que l'Apôtre parle en ces termes à ceux mêmes qui ont été régénérés spirituellement et qui ont reçu une vie nouvelle : « Si le Christ est en vous, quoique le corps soit mort par suite du péché, l'esprit est vivant par l'effet de la justice : si donc l'esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts vivifiera aussi vos corps mortels par son esprit qui habite en vous[^1] ». Saint Paul dit : « Il vivifiera aussi vos corps mortels » (ce que nous attendons avec confiance de la résurrection de la chair), sans doute parce qu'il vient de dire : « Le corps est mort à cause du péché » ; et vous ne voulez pas, vous, que la condition de la nature ait été changée par le péché. Cependant, quand les juges assemblés en Palestine eurent objecté à Pélage que, suivant lui, les enfants nouveau-nés se trouvaient dans le même état où était Adam avant son péché, il nia que tel fût son enseignement et condamna ce principe. Si cette condamnation avait été de sa part un acte sincère, votre hérésie aurait peut-être déjà complètement disparu : du moins Pélage lui-même eût été guéri de cette contagion pestilentielle. D'ailleurs, je vous demanderai si la nature coupable de péché n'a subi aucune altération : comme une telle prétention serait tout à fait absurde, il s'ensuit que cette altération existe; et si cette altération existe, la nature coupable a donc sans aucun doute été altérée. Comment alors n'a-t-elle pas subi de changement, puisqu'après avoir été saine elle se trouve viciée? Conséquemment, même en dehors de ce péché dont Jean de Constantinople parle en ces termes : « Adam a commis ce péché énorme, et il a enveloppé tous les hommes dans une commune réprobation[^2] » ; même en dehors donc de ce péché d'où la nature humaine tire sa condamnation originelle, comment peut on raisonnablement dire que la condition de la nature n'a pas été changée dans un homme qui s'exprime ainsi : « La loi est spirituelle, mais moi je suis charnel, vendu comme esclave au péché : aussi ce que je fais, je ne le sais pas, et ce que je veux, je ne le fais point[^3] », et autres paroles semblables ; alors même que ce changement serait dans cet homme, non pas une suite inévitable de sa naissance, mais, comme vous le prétendez, un effet de l'habitude de commettre le péché ? Voyez-vous combien votre langage est dénué de fondement, quand vous prétendez que le péché ne change point la condition de la nature humaine, mais seulement la qualité de nos mérites? A moins peut-être que vous ne disiez que le péché opère un changement, non pas dans la nature, mais dans l'homme. Que signifient ces paroles, sinon que l'homme n'est pas une nature? Pourriez-vous dire de pareilles énormités, si vous réfléchissiez avec une raison saine à ce que vous dites ?
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II Cor. V, 10.
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Rom. VIII, 10, 11.
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Homélie sur Lazare ressuscité.
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Rom. VIII, 14, 15.