3.
Ces nombreuses années passées dans la solitude, qui devaient nous conduire à la perfection de l'homme intérieur, ne nous ont servi qu'à nous faire voir ce qui nous manque, sans nous rendre ce que nous voulions devenir; car nous reconnaissons que nous n'avons pas acquis cette pureté inaltérable, et cette force de vertu et de science que nous désirions; il ne nous en reste que plus de honte et de confusion. Dans toutes les professions, l'étude et les efforts de chaque jour conduisent de l'incertitude des commencements, à une connaissance plus assurée et plus parfaite. On distingue peu à peu ce qu'on ne voyait d'abord que confusément, et l'on arrive enfin à faire bien et sans difficulté, ce qu'on avait entrepris.
Moi, au contraire, depuis que je travaille à acquérir la pureté, je vois seulement que je ne suis pas ce que je voudrais être. J'en éprouve une peine profonde, et, malgré tous mes regrets et mes larmes, je ne change pas. A quoi sert d'apprendre où est la perfection, si le connaissant, on n'y arrive jamais? Notre coeur se fait quelquefois violence pour atteindre le but; mais notre âme se laisse insensiblement retomber dans ses premiers égarements , et elle se trouve chaque jour assaillie par tant de distractions, qu'elle en devient captive. Elle désespère presque de se corriger, et il lui semble que, toutes ses pratiques religieuses sont inutiles. A chaque instant notre esprit nous échappe par des distractions incroyables, et lorsque nous voulons le ramener à la crainte de Dieu et à la contemplation, il s'enfuit de nouveau, sans que nous puissions jamais le fixer. Lorsque, nous réveillant comme d'un profond sommeil, et voyant combien il s'est éloigné du but, nous nous efforçons de le rappeler aux choses saintes , et de l'y retenir malgré lui;, il résiste à notre volonté, et glisse comme une anguille entre nos mains. Nous luttons ainsi chaque jour, sans nous apercevoir que notre âme acquière plus de force et de stabilité. Quelquefois nous pensons, dans notre découragement, que ces égarements d'esprit ne viennent pas de notre misère particulière, mais d'un vice inhérent à la nature humaine.