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Ceux qui sont véritablement malheureux et dignes de compassion, sont ces pécheurs souillés de toutes sortes de crimes qui, non-seulement n'ont aucun signe extérieur de cet esclavage du démon, mais qui n'éprouvent pas même de tentations et ne reçoivent aucune punition de leurs fautes. C'est qu'ils ne sont pas dignes de ces remèdes salutaires, de ces corrections temporelles. Les peines de la vie présente ne peuvent suffire à l'impénitence et à la dureté de leur cœur ; « ils amassent un trésor de colère et d'indignation pour le jour de la colère et de la révélation de la justice divine.» (Rom., II, 5.) Et alors, pour eux, «le ver qui ronge ne mourra pas , le feu qui brûle ne s'éteindra pas.» (Isaïe, LXVI, 24.) C'était d'eux que le Prophète parlait, lorsque, troublé de l'affliction des saints qu'il voyait accablés de tant de peines et de tentations, tandis que les pécheurs étaient exempts des fléaux de ce monde et en possédaient les richesses , il s'écriait : « Mes pieds sont presque ébranlés et mes pas se sont ralentis, parce que j'ai été irrité contre les méchants , en voyant la paix des pécheurs. Dieu ne regarde pas leurs malices, et sa main ne s'appesantit pas pour les frapper. Ils ne partagent pas les peines des hommes et n'en reçoivent pas les châtiments. » (Ps. LXXII, 2.) C'est que ceux-là doivent être un jour punis avec les démons, parce qu'ils se seront rendus indignes d'être châtiés en ce monde, comme les enfants parmi les hommes.
Jérémie, considérant devant Dieu la prospérité des méchants, déclare ne pas douter de sa justice, puisqu'il dit : « Vous êtes juste, Seigneur, et il ne faut pas disputer avec vous.» Mais comme il désire connaître la cause de cette inégalité, il ajoute : « Et cependant je vous dirai des choses justes. Pourquoi la voie des impies est-elle heureuse? Pourquoi le bonheur de ceux qui vous désobéissent et qui commettent le mal? Vous les avez mis sur la terre, et ils ont pris fortement racine; ils croissent et portent des fruits. Vous êtes près de leur bouche et loin de leurs reins. » (Jérém. , XII,1.)
C'est la perte de ces personnes que Dieu déplore par son prophète, exhortant à les guérir tous les médecins et les docteurs qu'il veut associer à ses regrets : « Babylone est tombée tout à coup , elle est brisée ! Pleurez et gémissez sur elle ; mettez du baume dans ses plaies, et tâchez de la guérir.» Mais les anges qui veillent au salut des hommes, ou les apôtres et les docteurs de l'Église, répondent par le prophète , en voyant la dureté de leur esprit et l'impénitence de leur coeur: « Nous avons soigné Babylone, et elle n'est pas guérie. Nous l'abandonnons, et chacun se retire en son pays , parce que son jugement est monté jusqu'au ciel et s'est élevé jusqu'aux nues. » (Jérém., LI, 9.)
C'est de ce mal désespéré qu'Isaïe parle à Jérusalem au nom de Dieu : « De la plante des pieds au sommet de la tête , il n'y a rien en elle qui soit sain. Ses blessures sont livides et ses plaies ne sont pas bandées. Il n'y a pas de remèdes pour les soigner et d'huile pour les adoucir. » ( Isaïe, I, 6.)