21.
L'ABBÉ SERENUS. Vous me faites deux questions difficiles ; je tâcherai d'y répondre dans l'ordre que volis m'avez proposé. Il ne faut certainement pas croire que des natures spirituelles puissent épouser des femmes. Si cette alliance s'était faite autrefois, pourquoi ne se renouvellerait-elle pas encore maintenant? Les démons qui poussent les hommes à l'impureté, s'y livreraient eux-mêmes si leur nature en était capable. L'Ecclésiaste a dit : « Qu'est-ce qui a été? Ce qui est encore. Qu'est-ce qui s'est fait? Ce qui se fera. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil, dont on puisse dire : Cela est nouveau et n'existait pas dans les siècles qui étaient avant nous. » (Eccl. , I, 9.)
On peut répondre ceci à votre question : Après la mort du juste Abel, Dieu ne voulut pas que tout le genre humain tirât son origine d'un fratricide et d'un impie, et remplaça le fils d'Adam qui était mort, par Seth qui lui succéda non-seulement dans ses droits , mais encore dans sa piété et sa justice. Les descendants de Seth suivirent la justice de leur père et n'eurent aucun rapport, aucune alliance avec la race du sacrilège Caïn , comme le montre clairement leur généalogie : « Adam engendra Seth , Seth engendra Énos, Énos engendra Caïnan , Caïnan engendra Malaléel , Malaléel engendra Jareth, Jareth engendra Hénoc, Hénoc engendra Mathusalem , Mathusalem engendra Lamech, Lamech engendra Noé. » (Genèse, V, 6.) La généalogie de Caïn est différente : « Caïn engendra Énoch , Énoch engendra Irath , Irath engendra Maviaël, Maviaël engendra Mathusaël, Mathusaël engendra Lamech, Lamech engendra Jubal.» (Gen., IV, 18.) Ainsi cette génération qui descendait du juste Seth ne se mésallia pas et resta longtemps fidèle à la sainteté de son chef et de ses ancêtres, se préservant toujours de la malice et des crimes dont était infectée la race de Caïn. Tant que les deux familles furent ainsi séparées, les descendants de Seth, qui sortaient d'une bonne souche, méritèrent, par leur sainteté, d'être appelés les anges de Dieu, ou, comme il est dit dans d'autres textes, les enfants de Dieu ; tandis que ceux de Caïn , au contraire, à cause de leur impiété ou de celle de leur père, et de leurs oeuvres toutes terrestres, étaient appelés les enfants des hommes. Cette séparation , si bonne et si utile à la race de Seth , dura jusqu'à ce que les enfants de Dieu s'éprirent de la beauté des filles de la race de Caïn , et les prirent en mariage. Les femmes communiquèrent à leurs maris les vices de leurs pères, et les détournèrent ainsi de la simplicité et de la sainteté qu'ils avaient reçues de leurs ancêtres.
On pouvait leur appliquer cette parole : «J'ai dit, Vous êtes des dieux et les enfants du Très-Haut. Mais pour vous, vous mourrez comme des hommes, et vous tomberez comme un de ces princes. » (Ps. LXXXI, 6.)
Ils perdirent ainsi les sciences et la sagesse qui leur avaient été transmises par leur père, et surtout par le premier homme, qui avait pu pénétrer les propriétés de toutes choses , et en communiquer la con-naissance à ses descendants. Comme il avait vu le monde dans toute sa jeunesse et comme dans son premier élan, il avait mis à l'étudier cette plénitude de sagesse, ce don de prophétie que le souffle divin lui avait donné , pour qu'il imposât un nom à tous les animaux de cette terre dont il était le souverain. ( Genèse , II.) Il connut non-seulement toutes les espèces des animaux, les fureurs et les poisons des reptiles, mais encore les vertus des plantes, des arbres , la nature des pierres et les changements des saisons avant de les avoir éprouvés; et il pouvait bien dire : « Le Seigneur m'a donné la science véritable de ce qui existe, afin que je connaisse la disposition du monde , la vertu des éléments, le commencement , le milieu et la consommation des temps , le cours des années et l'ordre des étoiles, la nature des animaux et les passions des bêtes, la force de l'esprit et les pensées des hommes, les différences des arbres et la propriété des racines , ce qu'il y a de plus caché m'a été dévoilé. » (Sag., VII, 17.) Cette science universelle de la nature a été transmise de génération en génération à la race de Seth , tant qu'elle a vécu séparée de la race coupable de Caïn. Et comme elle l'avait reçue saintement, elle ne l'employait aussi que pour le culte de Dieu ou les nécessités de la vie ; mais depuis ses funestes alliances, elle l'employa, sous l'inspiration du démon, à des choses profanes et sacrilèges. Elle institua les pratiques des enchantements et de la magie , et apprit à ses descendants à quitter le culte du vrai Dieu pour adorer les éléments , le feu et les démons qui sont dans l'air.
Quoique, pour répondre à votre question, il ne soit pas nécessaire de vous expliquer comment ces connaissances n'ont pas disparu dans le déluge et dans les siècles suivants, cependant, puisque l'occasion se présente , je vous en dirai quelque chose. Une ancienne tradition nous apprend que le fils de Noé, Cham, s'était livré aux superstitions et aux pratiques sacrilèges de la magie. Comme il savait bien qu'il ne pourrait pas introduire dans l'arche, où il devait entrer avec son père et ses frères, un livre qui conserverait le souvenir de toutes ces abominations, il écrivit ce qu'il en savait sur des lames de métal et sur des pierres très-dures que l'eau ne pouvait détériorer. Après le déluge il rechercha avec soin les documents qu'il avait cachés, et les transmit à la postérité, comme une semence perpétuelle de malice et de sacrilège. Ainsi cette croyance populaire qui fait dire que les anges ont appris la magie aux hommes, a un fond de vérité.
Les fils de Seth ayant épousé les filles de Caïn, leurs enfants devinrent plus méchants qu'eux : c'étaient de robustes chasseurs , des hommes violents et cruels qui , à cause de la grandeur de leur taille et de leurs méchancetés, furent appelés des géants. (Gen., VI.) Les premiers , ils se mirent à piller leurs voisins et à rançonner les hommes , aimant mieux vivre en volant les autres qu'en travaillant de leurs mains ; leurs crimes devinrent enfin si grands, qu'il fallut les eaux du déluge pour en purifier la terre. Les tentations de la concupiscence ayant fait violer aux enfants de Seth ce commandement qu'ils avaient observé instinctivement au commencement du monde, il fallut le renouveler dans la loi écrite : « Vous ne donnerez pas votre fille pour épouse à son fils, et vous ne recevrez pas pour votre fils une de leurs filles, qui séduiraient votre coeur et vous éloigneraient de Dieu pour vous faire suivre leurs dieux et les servir. » (Deut., VII, 3.)