13.
L'ABBÉ NESTEROS. Ce qui vous fait craindre de ne pouvoir jamais acquérir la pureté du coeur, doit, au contraire, vous indiquer le moyen d'y parvenir. Cette application, cette ardeur que vous mettiez aux études profanes, il faut maintenant la mettre à la lecture et à la méditation des saintes Écritures. Votre esprit sera nécessairement tout occupé de ces poésies frivoles, aussi longtemps que vous ne les aurez point bannies par de nouvelles études, en remplaçant les choses mondaines et stériles par des pensées saintes et divines. Lorsque ces pensées auront pris racine dans votre âme et que vous en serez nourri les premières se dissiperont peu à peu et disparaîtront même tout à fait. L'esprit de l'homme ne peut être vide de pensées, et tant qu'il ne s'occupera pas de choses spirituelles , il sera nécessairement embarrassé de ce qu'il a appris auparavant. S'il n'a pas des sujets nouveaux auxquels il puisse recourir et s'appliquer, il faudra qu'il retombe sur les choses dont a été nourrie son enfance et qu'il a longtemps méditées. Aussi, pour que la science spirituelle s'affermisse en vous, et qu'elle ne soit point passagère, comme en ceux qui ne s'instruisent pas par eux-mêmes et qui écoutent seulement les enseignements des autres, comme on goûte des parfums emportés par le vent; pour que cette science pénètre au fond de votre âme et y reste visible et ineffaçable, vous devez tenir compte de cette observation : lorsque, dans une conférence, vous entendez traiter un sujet que vous connaissez bien, gardez-vous d'écouter avec mépris ce que vous savez déjà; mais recevez-le, au contraire, dans votre coeur avec cet empressement, ce respect qui est toujours dû à la parole de Dieu, soit que nous l'entendions, soit que nous l'annoncions nous-mêmes.
Quelque fréquente que puisse être la répétition des choses saintes, l'âme qui aura soif de la vraie science n'en sera jamais rassasiée et dégoûtée; elles lui sembleront chaque jour plus nouvelles et plus désirables. Elle les écoutera et en parlera chaque jour avec une avidité plus grande; et au lieu de s'ennuyer de ces répétitions , elle s'en servira pour se confirmer davantage dans les vérités qu'elle aura déjà acquises. Un signe évident de la tiédeur et de l'orgueil de l'âme, est d'avoir de l'indifférence et de l'ennui pour ces paroles si utiles à notre salut, parce qu'on les a étudiées déjà bien des fois. « L'âme qui est rassasiée, dit l'Écriture, méprise le rayon de miel ; mais l'âme qui est pauvre trouve doux ce qui est amer. » (Prov., XXVII, 7.) Si vous recueillez avec soin ces paroles, si vous les cachez au fond de votre âme et les méditez dans le silence, elles s'y perfectionneront dans la prudence et la patience , comme un vin généreux et parfumé qui réjouit le coeur de l'homme. Vous les répandrez ensuite comme une liqueur précieuse, elles couleront de votre expérience comme d'une fontaine qui verse sans cesse, en mille ruisseaux, ses eaux bienfaisantes.
Il arrivera ce que les Proverbes disent de ceux qui agissent ainsi : « Buvez l'eau de vos vases et de la source de vos fruits, que ces ruisseaux de votre fontaine coulent en abondance et qu'ils arrosent vos chemins. » (Prov., V, 15.) Isaïe dit encore : « Vous serez comme un jardin bien arrosé, comme une fontaine dont l'eau ne tarit jamais; vous bâtirez pour des siècles dans votre solitude. Vous ferez naître des générations nombreuses , et l'on dira de vous, que vous élevez des barrières qui éloignent les pas des méchants. » (Isaïe, LVIII, 12.) Vous jouirez de ce bonheur que promet le Prophète : « Le Seigneur ne fera pas disparaître celui qui vous instruit , et vos yeux verront toujours votre maître; vos oreilles entendront la parole qui criera derrière vous : Voici le chemin ; marchez-y sans vous détourner ni à droite, ni à gauche. »
(Isaïe, XXX, 20.) Il arrivera ainsi que, non-seulement l'application et la méditation de votre coeur, mais encore les distractions et les écarts de votre pensée deviendront une étude sainte et continuelle de la loi divine.