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C'est de ces religieux parfaits que sortirent , comme d'une tige féconde, les saints anachorètes qui en furent les fleurs et les fruits. Leurs fondateurs sont les grands hommes que je viens de nommer, saint Paul et saint Antoine. Ils ne se réfugièrent pas dans la solitude par découragement ou par impatience, mais par désir d'une perfection plus grande et d'une contemplation plus élevée, quoiqu'on dise du premier que ce fut pour éviter les piéges de ses parents, dans un moment de persécution. Ainsi ce fut des monastères que sortirent les anachorètes qui ne se contentèrent pas des premières victoires remportées sur le démon parmi les hommes , mais qui voulurent le combattre plus particulièrement, et ne craignirent pas , pour mieux le vaincre , de pénétrer jusqu'au fond des déserts, comme saint Jean-Baptiste qui demeura toute sa vie dans la solitude, et à l'exemple d'Élie, d'Élisée, et de ceux dont parle l'Apôtre : « Ils ont erré couverts de peaux de brebis et de chèvres; ils ont souffert la pauvreté, les persécutions, les afflictions, eux dont le monde n'était pas digne; ils ont habité les solitudes, les montagnes, les rochers et les antres de la terre. » (Hébr., XI, 37.)
C'est d'eux que le Seigneur parle à Job, en figure : « Qui est celui qui a renvoyé libre l'âne sauvage et rompu ses liens? II a fixé sa demeure dans le désert, et sa tente dans les marécages. Il se rit de la foule des villes, et n'entend pas le cri des exacteurs. Il considère la montagne fertile en pâturages, et il cherche partout l'herbe abondante. » (Job, XXXIX, 5.) Le Psalmiste dit aussi : « Qu'ils parlent maintenant ceux qu'a rachetés le Seigneur, ceux qu'il a retirés des mains de l'ennemi. » (Ps. CVI, 2.) Et peu après : « Ils ont erré dans la solitude, dans les lieux arides, où ils ne trouvaient ni chemin, ni habitations. Ils souffraient la faim et la soif, et tombaient en défaillance. Ils criaient vers le Seigneur, au milieu de leurs tribulations, et le Seigneur les délivrait de leurs nécessités. » (Ps. CVI.) Jérémie en parle également, lorsqu'il dit : « Heureux celui qui porte le joug dès sa jeunesse; il s'assiéra solitaire et se taira, parce qu'il s'est élevé au-dessus de lui-même. » (Thren., III, 27.) Et les solitaires chantent de cœur et de bouche ces paroles de David : « Je suis devenu semblable au pélican de la solitude; j'ai veillé, et je suis devenu comme le passereau solitaire sur un toit. » (Ps. CI, 7.)