15.
Voyons maintenant l'exemple du saint abbé Paphnuce, qui est prêtre dans cette célèbre et heureuse solitude de Schethé, où il a toujours tant aimé vivre caché , que les autres anachorètes lui ont donné le nom d'un animal qui se tient toujours dans les lieux écartés. Lorsqu'il était jeune, sa vertu était si grande, que les hommes les plus éminents admiraient sa maturité et sa constance; il égalait en mérite, malgré son grand âge, les plus anciens qui le recevaient parmi eux. La jalousie, qui avait tourmenté les frères du patriarche Joseph, excita aussi contre lui un des solitaires, qui résolut de ternir sa réputation. Voici ce qu'il imagina pour accomplir son coupable dessein. Il choisit le moment où Paphnuce, pour aller à l'église le dimanche, s'absentait de sa cellule; il y entra secrètement et cacha son livre parmi les nattes qu'il tressait avec des feuilles de palmier; puis, bien assuré de réussir dans son mensonge, il alla rejoindre les autres à l'église , comme si sa conscience ne lui reprochait rien. Lorsque l'office du jour fut terminé, il se plaignit au saint abbé Isidore, qui était prêtre de cette solitude avant Paphnuce , et déclara, en présence des frères, qu'on lui avait pris son livre dans sa cellule.
Cette plainte surprit tout le monde et surtout l'abbé. On ne savait que faire et qui soupçonner d'un crime si nouveau. L'imposteur insista, et demanda qu'on retînt tous les solitaires dans l'église, pendant qu'on en enverrait quelques-uns visiter toutes les cellules. Le prêtre Isidore envoya trois des plus anciens solitaires visiter les cellules, et ils finirent par trouver dans celle de Paphnuce, au milieu de ses nattes de palmier, le livre que l'accusateur y avait placé lui-même. Les solitaires revinrent aussitôt à l'église, et firent connaître le résultat de leur recherche. La conscience de Paphnuce était bien tranquille; il parut cependant se reconnaître coupable, et se soumit à la pénitence, en demandant qu'on lui fît expier cette faute. Il craignait, en cherchant à se justifier, qu'on l'accusât d'ajouter le mensonge au vol, puisqu'il était impossible de nier l'évidence du fait. Il sortit donc de l'église sans se troubler; mais plein de confiance dans les jugements de Dieu, il pria avec larmes, redoubla ses jeûnes, et s'humilia profondément en présence des hommes. Il passa ainsi presque deux semaines dans une telle humiliation de corps et d'esprit, que le samedi et le dimanche même, il venait de grand matin à l'église, non pour recevoir la sainte Communion, mais pour se tenir à la porte, et y demander miséricorde. Mais Celui qui voit et connaît le fond des coeurs, ne permit pas que Paphnuce s'abaissât davantage, et fût méprisé plus longtemps; car son calomniateur, qui s'était volé lui-même, et que personne ne pouvait dénoncer, fut forcé par le démon d'avouer le crime qu'il lui avait fait commettre. Il devint possédé d'une manière terrible, et dévoila au milieu de ses fureurs, sa ruse et son mensonge. L'esprit impur le tourmenta cruellement et longtemps sans qu'il pût être délivré par les prières des plus saints solitaires, auxquels Dieu avait donné la puissance de chasser les démons. Le saint prêtre Isidore lui-même ne put y réussir, quoiqu'il eût cette puissance à un tel degré, que les démons n'attendaient pas pour quitter les possédés, qu'il fût sur le seuil de sa cellule.
Jésus-Christ réservait cette gloire au jeune Paphnuce, qui délivra par ses prières son accusateur. Ce solitaire envieux fut obligé de proclamer le nom de celui qu'il avait voulu décrier, et de le conjurer d'obtenir son pardon et la fin de son supplice. Paphnuce annonça ainsi, dès sa jeunesse, ce qu'il serait dans la suite, et montra, dès ses premières années, cette perfection que devait augmenter l'âge mûr. Si nous voulons nous élever à la même vertu , il faut nous donner les mêmes fondements.