4.
Si quelqu'un a aimé la solitude, s'il a oublié la société de ses semblables et s'il a pu dire, avec Jérémie : « Vous le savez, Seigneur, je n'ai pas désiré le jour de l'homme » (Jér., XVII, 16), il me semble qu'avec la grâce de Dieu, j'ai fait comme lui, ou du moins, j'ai taché de l'imiter. Je me souviens que la Bonté divine me favorisait et me ravissait au point que j'oubliais le fardeau de mon corps. Mon âme s'isolait tout à coup des sens extérieurs et se séparait tellement des choses de ce monde, que mes yeux et mes oreilles devenaient insensibles; et mon esprit était si absorbé par la méditation des vérités divines, que souvent, le soir, je ne pouvais dire si j'avais mangé pendant le jour, et si j'avais jeûné la veille. C'est pour éviter cette incertitude qu'on remet à chaque solitaire une corbeille où se trouve sa provision pour la semaine; il y a deux pains pour chaque jour et il peut voir, le samedi, s'il a oublié quelquefois de prendre sa nourriture. Les pains qui restent l'en avertissent, et quand il n'y en a plus, il sait que la semaine est passée , que le jour du Seigneur est arrivé, et il se rend alors avec les autres, à l'église. Lors même que ce moyen serait insuffisant, il serait facile de compter les jours par l'ouvrage que nous avons exécuté.
Je ne m'étends pas sur les antres avantages du désert; car il ne s'agit pas de les énumérer, mais de connaître la différence qu'il y a, de vivre dans la solitude ou en communauté, et j'aime mieux vous expliquer, comme vous le désirez, les causes de mon changement. Je vous dirai donc, en peu de mots, pourquoi j'ai préféré de plus précieux avantages aux avantages de la solitude dont je vous ai parlé.