5.
Lorsque les anachorètes étaient peu nombreux, nous jouissions d'une grande liberté. L'étendue de la solitude nous charmait; l'âme, dans ces retraites profondes, était souvent ravie en Dieu , sans être troublée par ces visites continuelles de nos frères, envers lesquels on craint de manquer aux devoirs de l'hospitalité. J'avoue que je me passionnai pour cette paix et cette vie, qu'on peut comparer au bonheur des anges. Mais bientôt le nombre des solitaires augmenta; les lieux déserts devinrent plus rares; cette flamme céleste de la contemplation parut s'éteindre au souffle de la multitude, et notre esprit fut troublé par le soin des choses temporelles. Alors, j'ai mieux aimé suivre une règle, et tâcher d'en multiplier les devoirs, que de continuer une profession si élevée, où je mènerais une vie languissante et toujours troublée par les besoins du corps. Si je perdais ainsi la liberté et les joies de la contemplation, j'étais du moins délivré des honteuses inquiétudes du lendemain; je me consolais en remplissant le précepte de l'Évangile. Je renonçais aux pensées sublimes, mais je trouvais l'humilité de l'obéissance, et c'est une triste chose de cultiver un art, sans pouvoir en atteindre la perfection.