22.
L'ABBÉ TIÉONAS. Si nous nous appliquons à tout examiner aux lumières de la raison, et si nous jugeons de la pureté de notre cœur, non pas avec le sentiment des autres, mais avec notre conscience, il est certain que cette nourriture plus abondante ne peut affaiblir notre vigilance. L'âme doit tenir l'équilibre entre cet adoucissement et les intérêts de la continence, de manière à se préserver de tout excès dans un sens ou dans un autre. Il faut qu'elle discerne avec sagesse la règle qui empêchera notre esprit de s'appesantir sous le poids de la jouissance, et notre corps de succomber sous les rigueurs de l'abstinence, modérant ainsi toute exagération qui pourrait trop l'ex-citer ou l'abattre. Notre Dieu défend de rien faire pour son service et son honneur, sans une sage discrétion ; car « l’honneur du roi aime le jugement. » ( Ps. XCVIII, 4.) Aussi , dans sa sagesse, Salomon nous recommande de ne nous laisser entraîner ni d'un côté ni de l'autre. « Honorez Dieu par de justes efforts, et offrez-lui des fruits de votre justice. » (Prov., III, 9.) Nous avons dans notre conscience un juge équitable et incorruptible, qui ne se trompe jamais sur la pureté de nos âmes, lors même que d'autres pourraient s'égarer. Nous devons veiller avec soin sur notre coeur, pour ne pas nous écarter de la discrétion , et pour éviter également une abstinence trop ambitieuse, et une indulgence trop relâchée.
Il faut calculer nos forces, et mettre d'un côté de la balance la pureté de l'âme , et de l'autre la santé du corps; les peser ensuite au poids de la conscience, sans nous laisser corrompre par de secrets penchants, de telle sorte que nous évitions les excès de tout genre, et que nous ne méritions pas ce reproche : « Si en faisant les saintes offrandes, vous les offrez mal, ne péchez-vous pas ? (Gen., IV, 7.) Ces jeûnes, que nous offrons à Dieu comme des victimes violemment arrachées de nos entrailles, Celui qui aime la justice et la miséricorde les a en horreur, puisqu'il dit : « Je suis le Seigneur qui aime le jugement, et qui déteste le vol dans le sacrifice. » ( Isaïe, LXI, 8.) Il en est de même des offrandes coupables de ceux qui pensent à leur corps et à leur bien-être avant tout, et ne donnent à Dieu que le reste de ce qu'ils font. La sainte Écriture condamne ces serviteurs infidèles : « Maudit soit celui qui fait l'oeuvre de Dieu avec fraude. » (Jér., XLVIII, 10.) C'est bien justement que Dieu reprend ceux qui se trompent ainsi eux-mêmes : « Tous les enfants des hommes sont insensés; car tous les enfants des hommes mentent avec leurs balances pour tromper. » (Ps. LXI, 10.) Et le grand Apôtre nous exhorte à rester dans les limites de la discrétion, sans nous laisser entraîner par notre penchant d'un côté ou d'un autre ; il a dit : « Que votre obéissance soit raisonnable. » (Rom., XII, 1.) Moïse nous fait la même recommandation ; car il veut « que les balances soient justes, que les poids soient égaux, que le boisseau et le septier aient leur mesure. » (Lévit., XIX, 36.) Salomon dit aussi à ce sujet : « Un poids grand et petit, et des mesures différentes , sont des choses abominables devant Dieu, et celui qui les emploie se perdra dans ses tromperies. » (Prov., XX, 10.)
Appliquons nous donc à ne pas nous servir de faux poids et de fausses mesures, non-seulement dans les choses dont nous parlons , mais dans le secret de nos coeurs et les greniers de notre conscience, c'est-à-dire que sans user pour nous d'une indulgence, d'une mollesse qui affaiblirait la règle, nous n'accablions pas ceux auxquels nous annonçons la parole de Dieu, d'un fardeau que nous ne pouvons pas porter nous-mêmes. Que faisons-nous, cependant, lorsque nous employons double poids et double mesure, pour peser et mesurer le pur froment des enseignements divins ? Si nous le dispensons autrement pour nous que pour nos frères, ne méritons-nous pas les reproches de Dieu, puisque nous avons des balances et des mesures trompeuses? Salomon nous l'annonce : « Le poids double est abominable devant Dieu, et la balance fausse n'est pas bonne en sa présence. » (Prov., XXIII.)
Nous tombons encore dans la même faute, lorsque nous faisons devant nos frères ce que nous pratiquions dans le secret de nos cellules , afin de mériter la louange des hommes, désirant ainsi paraître plutôt austères et saints à leurs yeux que de l'être vraiment devant Dieu. C'est là une maladie que nous devons éviter, que nous devons avoir en horreur. Mais nous nous sommes un peu éloignés de notre sujet, il est temps d'y revenir.