2.
L'ABBÉ ABBAIIAM. Votre faiblesse dans cette tentation prouve que vous n'avez pas encore renoncé aux vains désirs du monde, et triomphé de vos anciennes passions. Ce combat, cette hésitation montre que vous avez quitté votre patrie et vos parents plutôt de corps que d'esprit; car tout ce qui vous trouble serait depuis longtemps détruit et déraciné de votre coeur, si vous aviez compris que le renoncement est le motif principal qui nous fait choisir la solitude. Je vois que vous êtes travaillés de cette maladie de l'oisiveté dont parlent les Proverbes : « L'homme oisif tombe dans les désirs, et les désirs tuent le paresseux. » (Prov., XXI, 5, 25.) Nous aussi nous pouvions jouir des biens dont vous parlez, si nous avions pensé qu'ils n'étaient pas nuisibles à nos desseins , et que les douceurs de la patrie nous profiteraient autant que les horreurs du désert et les privations du corps. Nous ne manquons pas non plus de parents qui se feraient une joie de fournir à tous nos besoins; mais nous avons entendu cette parole du Christ, qui retranche tout ce qui plaît à la vie présente : « Celui qui ne quitte pas ou ne hait pas son père, sa mère, ses enfants et ses frères ne peut être mon disciple. » (S. Luc, XIV, 26.)
Si nous étions privés de l'assistance de nos parents, ne trouverions-nous pas dans le monde, des puissants qui s'empresseraient de nous donner abondamment ce qui nous serait nécessaire, et nous délivreraient de toute inquiétude au sujet de notre nourriture? Mais nous redoutons cette menace du Prophète : « Maudit soit l'homme qui met son espérance dans l'homme» (Jér., XVII, 5); et encore : « Ne placez pas votre confiance dans les princes. » (Ps. CXLV, 2.) Nous pouvions du moins placer nos cellules sur les bords du Nil, et avoir de l'eau à notre portée, au lieu d'aller la chercher sur nos épaules à une si grande distance. Mais l'Apôtre nous apprend à supporter avec courage cette fatigue, en nous disant : « Chacun recevra sa récompense, selon son travail. » (I Cor., III, 14.) Nous n'ignorons pas qu'il y a, dans nos contrées des solitudes agréables qui nous donneraient des fruits, des fleurs et des légumes à profusion, et nous procureraient sans peine tout ce qui nous serait nécessaire; mais nous craignons ce reproche , que l'Évangile adresse au riche : « Vous avez reçu votre consolation pendant votre vie. » (S. Luc, XVI, 25.)
Nous avons méprisé ces choses avec les plaisirs du monde, et nous leur avons préféré l'aridité du désert. Nous avons mieux aimé la solitude de ces lieux sauvages que toutes les jouissances; et en comparant ces sables stériles aux largesses d'une terre féconde, nous cherchons à gagner, non pas la satisfaction passagère de nos sens, mais le bonheur éternel de nos âmes. C'est peu à un religieux d'avoir renoncé une fois, au commencement de sa conversion, aux choses présentes, s'il ne persévère pas, tous les jours, dans son renoncement. Nous devons pouvoir dire, jusqu'au dernier instant de notre vie, avec le Prophète : « Vous savez que je n'ai pas désiré le jour de l'homme. » (Jér., XVII, 16.) Aussi Notre-Seigneur a dit dans son Évangile : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui -même, qu'il porte sa croix tous les jours, et qu'il me suive. » (S. Luc, IX, 23.)