26.
L'ABBÉ MOYSE. On peut concilier facilement ces deux choses. Il faut conserver la même frugalité dans le repas, par amour de la tempérance et de la pureté. Il faut aussi rendre à nos frères qui nous visitent les devoirs que la charité nous commande. Il serait absurde de recevoir à sa table son frère, ou plutôt Jésus-Christ lui-même, sans s'y asseoir, et le traiter comme un étranger, en ne touchant pas à ce qu'on lui donne. Nous ne manquerons à aucun de nos devoirs, si nous prenons l'habitude, à l'heure de none, de prendre un des deux pains que la règle autorise, et de réserver l'autre pour vêpres, afin de le manger avec un frère qui viendrait nous visiter, sans rien ajouter cependant à notre ordinaire; ce sera le moyen de ne pas nous troubler de la visite de nos frères, que nous devons toujours recevoir avec joie; et en nous montrant ainsi charitables, nous ne nous relâcherons en rien de notre austérité. Si personne ne vient, nous prendrons sans scrupule le pain que nous avions gardé, et notre estomac ne souffrira pas de ce repas du soir, parce que nous aurons pris déjà quelque chose à l'heure de none , et nous éviterons ce qui arrive à ceux qui croient mieux jeûner en ne mangeant qu'à l'heure de vêpres; car cette nourriture tardive les empêche d'avoir l'esprit libre pendant les vêpres et l'office de nuit, et il est bien préférable de fixer à none l'heure du repas. Le religieux est non-seulement mieux disposé pour les saintes veilles, mais aussi plus apte aux prières du soir, parce que la digestion est faite.
C'est ainsi que l'abbé Moyse nous a nourris deux fois de sa sainte parole. Il venait de nous exposer savamment la grâce et la vertu de discrétion, et il nous avait démontré la manière de renoncer au monde, et le but que doit choisir un religieux. Il nous fit voir, plus clairement que le jour, ce que nous cherchions auparavant en aveugles, et par instinct de zèle et de ferveur, et il nous fit comprendre combien jusqu'alors nous étions éloignés de la vraie pureté du coeur et de la ligne droite de la discrétion; car il est certain qu'en ce monde, aucun art n'existe sans une règle et un but, et qu'on ne peut atteindre ce but sans le regarder sans cesse.