12.
Nous aussi nous pouvions profiter de l'assistance de nos parents; mais nous avons préféré cette pauvreté à leurs richesses. Nous avons mieux aimé préparer à la sueur de notre front la nourriture de chaque jour, que de nous reposer sur leur générosité, estimant plus ces peines et ces privations que la méditation oiseuse de l'Écriture et les lectures stériles dont vous nous parlez. Agirions-nous de la sorte, si nous ne trouvions pas plus utile de suivre les exemples des Apôtres et les conseils des anciens solitaires? Vous reconnaîtrez vous- même qu'il y a un autre inconvénient plus grand que le premier. Vous êtes forts et bien portants, et vous vous nourrissez d'aumônes qui ne doivent être données qu'aux faibles. Les hommes, en général, si on excepte les moines qui vivent du travail de leurs mains, selon la recommandation de l'Apôtre, attendent leur nourriture des autres, et profitent de leurs peines. Les uns jouissent des biens de leurs pères, les autres du travail de leurs serviteurs, ou des revenus de leurs terres. Les princes de ce monde eux-mêmes reçoivent ce qui est nécessaire à leurs besoins; et nos anciens ont regardé comme une aumône tout ce qu'on recevait pour la nourriture de chaque jour, sans le gagner par le travail de ses mains, comme le recommande l'Apôtre, qui refuse aux oisifs les secours de la charité, lorsqu'il dit : « Celui qui ne travaille pas ne doit pas manger. » (II Thess., III , 10.)
Les paroles de saint Antoine à ce solitaire doivent nous apprendre à fuir, comme dangereuses, les douceurs que peuvent nous procurer nos parents, et ceux dont la charité fournirait à nos besoins. Elles doivent nous faire éviter les contrées agréables, et préférer à toutes les richesses du monde les sables, les déserts arides, les terres brûlées par l'eau salée de la mer, et abandonnées pour cela par tous les hommes. Non-seulement nous éviterons , dans ces solitudes inabordables, les visites trop fréquentes, mais nous nous épargnerons les distractions que nous donnerait la culture d'une nature trop fertile, qui détournerait notre âme de son but principal , et la rendrait moins propre aux exercices spirituels.