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Institutions Divines
III.
La philosophie semble ne comprendre que deux choses : la science et la conjecture. La science ne procède pas de l'esprit et ne peut s'acquérir par le seul effet de la méditation et de la pensée. Il n'y a que Dieu qui ait dans lui-même la science de cette sorte. Les hommes n'en ont aucune qui ne leur vienne du dehors. La divine providence nous a donné des yeux, des oreilles et d'autres organes par où ce que nous savons entre dans l'âme. Car prétendre découvrir par conjecture ou par raisonnement les causes des choses naturelles, et savoir, par exemple, si le soleil n'est qu'aussi grand qu'il paraît, ou s'il est beaucoup plus grand que la terre, si la lune est un globe ou si elle n'est qu'un demi-globe, si les étoiles sont attachées au firmament ou si elles ont un mouvement libre au travers de l'air, quelle est l'épaisseur de la terre, et sur quel fondement elle est affermie, ce serait une témérité pareille à celle de ceux qui entreprendraient de décrire une ville assise dans un pays éloigné, qu'ils n'auraient jamais vue et de laquelle ils n'auraient jamais entendu que prononcer le nom; ce serait sans doute une folie de vouloir parler de la sorte sur un sujet sur lequel il serait aisé de nous convaincre de fausseté. L'extravagance de ceux qui se vantent de savoir des choses naturelles qu'il n'est pas possible de savoir, est beaucoup plus extraordinaire et plus étrange. C'est pourquoi Socrate et les académiciens qui l'ont suivi ont eu raison de nier qu'il y eût aucune science, parce que, quand on prétend parvenir à la science par le raisonnement, on ne fait que deviner. Il n'y a donc plus que des conjectures dans la philosophie, car dès que l'on a ôté la science, il ne reste plus que les conjectures. On a des conjectures touchant les choses dont on ne sait rien de certain. Ceux qui disputent sur la physique conjecturent que les choses sont telles qu'ils se les feignent : ils ne le savent donc pas ; quand on sait, on a de la certitude ; quand on n'a pas de certitude, on ne sait pas et on n'a qu'une conjecture. Servons-nous encore une fois de l'exemple que je viens d'apporter. Raisonnons chacun selon notre opinion de l'état d'une ville dont nous ne connaissons que le nom. Il y a apparence, dira quelqu'un, qu'elle est assise dans une plaine, que ses murailles sont de pierres, que les maisons sont fort hautes, que les rues sont larges et qu'il y a quantité de temples et d'ornements. Entreprenons encore de décrire les mœurs et la manière de vivre des habitants. Quand nous en aurons dit ce qui nous sera venu dans l'esprit, un autre en parlera tout autrement, et après lui un troisième, et d'autres après celui-là. Lequel de tous aura dit la vérité? Aucun peut-être ne l'aura dite; mais on a dit tout ce qui se rencontre dans les villes, selon le cours commun des choses et selon l'usage le plus ordinaire. Ainsi il faut nécessairement que l'on ait dit au moins une partie de la vérité. S'il arrive que par hasard quelqu'un ait dit une partie de la vérité, on ne le pourra savoir. Peut-être que tous se seront trompés en quelque chose et qu'en quelque chose ils auront approché de la vérité. C'est donc une extravagance de prétendre apprendre par raisonnement comment une ville que nous n'avons jamais vue est faite. S'il survenait quelqu'un qui y eût été, il se moquerait de notre folie de parler par conjecture d'une chose dont nous n'avons point de connaissance. Mais sans parler d'un pays si éloigné d'où personne ne viendra pour réfuter ce que nous en aurons avancé, disons maintenant par supposition et par conjecture ce que l'on fait ou dans le marché ou dans le palais. Si ces lieux-là sont encore trop éloignés de nous, disons ce qui se fait dans une maison ou dans un appartement qui n'est séparé que par une cloison du lieu où nous sommes. Personne ne le peut savoir, s'il ne l'a vu ou entendu. Personne aussi n'est assez hardi pour le dire, parce que, s'il le disait, on le convaincrait de fausseté, non par un grand nombre de paroles, mais par la seule évidence du fait. Les philosophes qui disputent touchant ce qui se passe dans le ciel commettent la même faute. Mais ils s'imaginent que personne ne les peut reprendre, parce que personne n'a été au lieu dont ils parlent. Si quelqu'un en pouvait descendre, et faire voir leurs impostures et leurs rêveries, ils se garderaient bien de raisonner sur un sujet dont ils ne peuvent jamais avoir de connaissance certaine. Que s'il n'y a point d'homme qui les reprenne, leur témérité n'en est pas pour cela plus heureuse, parce que Dieu, qui sait seul la vérité, les reprend, bien qu'il semble garder le silence et regarder leur prétendue sagesse comme une véritable folie.
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The Divine Institutes
Chap. III.--Of What Subjects Philosophy Consists, and Who Was the Chief Founder of the Academic Sect.
Philosophy appears to consist of two subjects, knowledge and conjecture, and of nothing more. Knowledge cannot come from the understanding, nor be apprehended by thought; because to have knowledge in oneself as a peculiar property does not belong to man, but to God. But the nature of mortals does not receive knowledge, except that which comes from without. For on this account the divine intelligence has opened the eyes and ears and other senses in the body, that by these entrances knowledge might flow through to the mind. For to investigate or wish to know the causes of natural things,--whether the sun is as great as it appears to be, or is many times greater than the whole of this earth; also whether the moon be spherical or concave; and whether the stars are fixed to the heaven, or are borne with free course through the air; of what magnitude the heaven itself is, of what material it is composed; whether it is at rest and immoveable, or is turned round with incredible swiftness; how great is the thickness of the earth, or on what foundations it is poised and suspended,--to wish to comprehend these things, I say, by disputation and conjectures, is as though we should wish to discuss what we may suppose to be the character of a city in some very remote country, which we have never seen, and of which we have heard nothing more than the name. If we should claim to ourselves knowledge in a matter of this kind, which cannot be known, should we not appear to be mad, in venturing to affirm that in which we may be refuted? How much more are they to be judged mad and senseless, who imagine that they know natural things, which cannot be known by man! Rightly therefore did Socrates, and the Academics 1 who followed him, take away knowledge, which is not the part of a disputant, but of a diviner. It remains that there is in philosophy conjecture only; for that from which knowledge is absent, is entirely occupied by conjecture. For every one conjectures that of which he is ignorant. But they who discuss natural subjects, conjecture that they are as they discuss them. Therefore they do not know the truth, because knowledge is concerned with that which is certain, conjecture with the uncertain.
Let us return to the example before mentioned. Come, let us conjecture about the state and character of that city which is unknown to us in all respects except in name. It is probable that it is situated on a plain, with walls of stone, lofty buildings, many streets, magnificent and highly adorned temples. Let us describe, if you please, the customs and deportment of the citizens. But when we shall have described these, another will make opposite statements; and when he also shall have concluded, a third will arise, and others after him; and they will make very different conjectures to those of ours. Which therefore of all is more true? Perhaps none of them. But all things have been mentioned which the nature of the circumstances admits, so that some one of them must necessarily be true. But it will not be known who has spoken the truth. It may possibly be that all have in some degree erred in their description, and that all have in some degree attained to the truth. Therefore we are foolish if we seek this by disputation; for some one may present himself who may deride our conjectures, and esteem us as mad, since we wish to conjecture the character of that which we do not know. But it is unnecessary to go in quest of remote cases, from which perhaps no one may come to refute us. Come, let us conjecture what is now going on in the forum, what in the senate-house. That also is too distant. Let us say what is taking place with the interposition of a single wall; 2 no one can know this but he who has heard or seen it. No one therefore ventures to say this, because he will immediately be refuted not by words, but by the presence of the fact itself. But this is the very thing which philosophers do, who discuss what is taking place in heaven, but think that they do that with impunity, because there is no one to refute their errors. But if they were to think that some one was about to descend who would prove them to be mad and false, they would never discuss those subjects at all which they cannot possibly know. Nor, however, is their shamelessness and audacity to be regarded as more successful because they are not refuted; for God refutes them to whom alone the truth is known, although He may seem to connive at their conduct, and He reckons such wisdom of men as the greatest folly.
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It is evident that the Academy took its rise from the doctrine of Socrates. Plato, the disciple of Socrates, founded the Academy. However excellent their system may appear to many, the opinion of Carneades the Stoic seems just, who said that "the wise man who is about to conjecture is about to err, for he who conjectures knows nothing." Thus knowledge is taken from them by themselves.--Betul. ↩
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With nothing but an inner wall between. ↩