XI.
1 La mort finira elle-même lorsque le temps que Dieu lui a prescrit sera arrivé, et comme elle aura ses bornes de la même sorte que la vie qui l'a précédée, les âmes ressusciteront et prendront possession d'une vie qui n'aura jamais de fin. Comme la vie de l'âme est éternelle et qu'elle jouit d'une récompense que nul langage ne peut exprimer, la mort l'est aussi, et ses tourments sont aussi infinis dans leur durée que dans leur rigueur. Ainsi, ceux qui sont heureux durant la vie que nous menons sur la terre, seront éternellement malheureux, puisqu'ils auront joui des biens qu'ils auront préférés, et ce sera le tort de ceux qui auront méprisé Dieu pour adorer des idoles. Ceux, au contraire, qui auront été malheureux, pauvres et méprisés durant cette vie, qui auront souffert des affronts et des vexations pour la justice et d'autres peines qui sont inséparables de la vertu, seront éternellement bienheureux; et après avoir souffert des maux passagers, ils posséderont les biens éternels; et ce sera It condition de ceux qui auront méprisé les dieux et les biens de la terre pour embrasser notre religion dont la récompense est éternelle. Que dirons-nous maintenant des ouvrages du corps et de l'esprit? ne prouvent-ils pas que l'âme est exempte de la mort? Le corps étant fragile et mortel ne fait rien qui ne soit de même condition. « Il n'y a rien, dit Cicéron, de ce qui a été fait par la main des hommes qui ne doive un jour finir, soit qu'il soit ruiné par la main des hommes mêmes, ou consumé par la longueur des années. »
2 Nous voyons au contraire que les ouvrages de l'esprit durent toujours. Ceux qui méprisent les biens du monde ont laissé à la postérité des monuments de leur esprit et de leur vertu et acquis une réputation immortelle. Puisque vos ouvrages du corps sont sujets à la mort, parce que le corps y est lui-même sujet, on peut juger que l'âme en est exempte, parce que ses ouvrages le sont. Les délices du corps et de l'âme peuvent encore servir à prouver que l'un est mortel et l'autre immortelle. Le corps ne désire rien que de temporel, de quoi boire, de quoi manger, de quoi se vêtir, du repos, du plaisir, bien qu'il ne puisse ni désirer ni posséder aucune de ces choses que par les secours et les moyens de l'âme. L'âme désire au contraire beaucoup de choses qui ne regardent point le corps et qui ne lui apportent aucun profit, comme la réputation et la gloire; elle en désire d'autre-qui sont contraires à l'intérêt du corps, comme de s'abstenir de plaisirs, de souffrir la douleur et de s'exposer à la mort. Le pouvoir que l'âme a d'agir sans le corps, au lieu que le corps n'en a aucun d'agir sans l'âme, est une preuve que la mort qui sépare l'âme du corps et ne la détruit point. On se sert encore d'un autre argument pour établir la même vérité, qui est : que tout ce qui est exposé aux yeux ou à l'attouchement, est sujet à être détruit par la force, et partant qu'il ne peut être éternel, mais ce qui ne tombe ni sous l'attouchement ni sous les yeux et ce qui ne se fait sentir que par ses effets, est éternel, parce qu'il ne peut souffrir aucune violence étrangère. Le corps est donc sujet à la mort, puisqu'il est exposé à la vue et à l'attouchement, et l'âme est immortelle parce qu'elle n'y est point exposée.