PRÉFACE.
Il y a eu dans tous les siècles des hommes d'un génie supérieur qui, s'étant donnés tout entiers à l'étude de la sagesse, et ayant pour cela renoncé à tous les engagements de la vie civile, ont employé tout ce qu'ils avaient de lumières et de forces pour parvenir à la connaissance de la vérité. Ils estimaient qu'il leur était plus utile, et tout ensemble plus glorieux, de s'appliquer à connaître les causes des événements, et à considérer la conduite admirable de Dieu dans la nature, que de s'occuper à amasser des richesses, et à acquérir de vains honneurs, qui, n'étant que des biens terrestres et fragiles, ne peuvent rendre l'homme ni meilleur ni plus heureux.
Certes, ces grands hommes méritaient de rencontrer ce qu'ils cherchaient avec tant d'ardeur et si peu de succès, puisqu'ils en préféraient l'acquisition à tout ce que le monde a de plus engageant ; car on sait qu'il y en a eu parmi eux qui ont tout abandonné, et se sont privés volontairement des plaisirs les plus innocents, pour suivre, sans embarras et sans aucun autre attachement, la vertu toute nue. Ils étaient touchés pour elle d'un respect si religieux, qu'ils révéraient jusqu'à son nom d'un culte particulier, et qu'ils ne reconnaissaient sur la terre d'autre puissance légitime que la sienne.
Mais comme la suprême vérité, qui n'est autre chose que Dieu, ne peut être l'objet des sens, ni être comprise par l'esprit humain éclairé des seules lumières de la raison, une recherche si assidue et si laborieuse leur a été inutile. Il y a une trop grande distance entre Dieu et l'homme, pour que l'homme puisse atteindre par ses propres forces à la connaissance de la vérité.
Aussi cet être souverainement bon, ne pouvant souffrir que l'homme demeurât plus longtemps dans l'aveuglement, et que cette recherche sincère de la sagesse ne le conduisit que par des routes couvertes de ténèbres et environnées de précipices, lui a ouvert enfin les yeux ; la vérité a été un présent de sa main libérale. En faisant connaître à l'homme que toute la sagesse humaine n'est que vanité, il lui a montré en même temps le chemin qui le pouvait conduire à une immortalité bienheureuse.
Mais ce bienfait du ciel devint inutile à plusieurs, et la vérité demeure toujours inconnue. Les savants la méprisent, ne la trouvant pas soutenue par des preuves aussi évidentes qu'ils le souhaiteraient. Le peuple la fuit à cause de son air trop austère, car la vertu a toujours quelque amertume qui rebute; au lieu que le vice, accompagné des douceurs de la volupté, attire, plaît, engage. Ainsi les hommes trompés par l'apparence courent après un faux bien, et ne trouvent en effet qu'un mal véritable.
Nous avons cru devoir travailler à bannir du monde cette double erreur, en faisant connaître aux savants la sagesse qu'ils doivent suivre, et en montrant au peuple la religion qu'il doit embrasser.
Au reste, ce travail nous paraît plus honorable et plus utile que celui qui a occupé toute notre jeunesse, que ces exercices de déclamateur et de sophiste qui contribuent bien moins à former l'esprit à la vertu qu'à le subtiliser et à le rendre capable d'exercer une malice plus fine et moins grossière. Nous ne laisserons pas toutefois de tirer cet avantage de ces connaissances profanes, qu'elles nous donneront plus de facilité à discourir des choses divines, et à disposer les esprits à recevoir les instructions que nous avons résolu de leur donner touchant le culte qui est dû à sa souveraine majesté. Sans doute celui-là mérite beaucoup plus de louanges qui apprend aux hommes à bien vivre, que n'en mérite celui qui leur apprend à bien parler. Et c'est ce qui a, parmi les Grecs, acquis tant de gloire aux philosophes, et leur a donné un si grand avantage sur les orateurs; l'art de la parole n'étant que pour un petit nombre de personnes, mais la science des mœurs étant propre à tous.
Nous emploierons donc pour défendre la vérité ce que nous avons autrefois mis en usage pour soutenir le mensonge ; et quoi qu'elle n'ait pas besoin pour vaincre du secours de l'éloquence, et que plusieurs l'aient souvent défendue sans en avoir la moindre teinture ; cependant, lorsqu'elle est ornée de la beauté majestueuse des pensées solides, et qu'elle brille des couleurs vives d'une élocution fleurie, il faut avouer qu'elle en est reçue bien plus agréablement dans les esprits, qu'elle y fait de plus profondes impressions, et que, se rendant d'ailleurs vénérable par la sainteté de la religion qu'elle annonce, elle est conservée dans les cœurs sans que rien l'en puisse effacer.