2.
Cette vérité parait non-seulement dans Ismaël et Isaac, trais encore dans les deux enfants de Rebecca, Esaü et Jacob, desquels Dieu a choisi l'un et rejeté l'autre. Saint Paul prétend faire voir par là que les deux aînés de ces frères, Ismaël et Esaü, sont la figure de la réprobation du peuple juif, et que les deux cadets, Isaac et Jacob, nous représentent le choix que Dieu a fait des gentils et de ceux d'entre les Juifs qui devaient croire en Jésus-Christ. Mais parce que, pour prouver son sentiment, il s'était servi de l'exemple de deux frères jumeaux, Esaü et Jacob, dont il est écrit : « L'aîné sera assujetti au plus jeune ; » et dans le prophète Malachie : « J'ai aimé Jacob et j'ai haï Esaü,» il se fait à lui-même et explique selon sa coutume l'objection qu'il prévoyait bien qu'on pouvait lui faire sur cela, et après l'avoir réfutée il revient à son sujet. S'il est vrai, dit cet apôtre, que l'élection de Jacob et la réprobation d'Esaü, « qui n'étaient pas encore nés et qui n'avaient fait ni aucun bien ni aucun mal» pour se rendre dignes ou des bontés ou de la colère de Dieu, est un effet non pas de leurs propres mérites, mais de la volonté de celui qui a choisi l'un et rejeté l'autre, « que dirons-nous donc? Est-ce que Dieu est injuste? » suivant ce qu'il dit lui-même à Moïse : « Je ferai miséricorde à qui il me plaira de faite miséricorde, et j'aurai pitié de qui il me plaira d’avoir pitié. » Si nous croyons que Dieu fait tout ce qu'il veut, et qu'il choisit les uns et rejette les autres sans avoir aucun égard à leur mérite et à leurs oeuvres, «cela ne dépend donc ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde; » comme il paraît d'une manière très sensible par ces paroles que le même Dieu dit dans l'Ecriture à Pharaon : « C'est pour cela même que je vous ai établi pour faire éclater en vous ma toute-puissance, et pour rendre mon nom célèbre par toute la terre. » Si cela est ainsi, et si Dieu, selon qu'il lui plaît, fait miséricorde à Israël et endurcit Pharaon, c'est donc à tort qu'il se plaint et qu'il nous reproche ou de n'avoir pas fait le bien, ou d'avoir fait le mal, puisque, sans avoir égard ni à nos bonnes ni à nos mauvaises actions, il peut quand il lui plaît choisir les uns et réprouver les autres, surtout l'homme étant trop faible pour s'opposer à ses volontés.
Or voici ce que l'apôtre saint Paul répond à cet argument qui est très fort de lui-même et qui, étant appuyé sur l'autorité de l'Ecriture sainte, paraît presque invincible: « O homme, qui êtes-vous pour contester avec Dieu? » c'est-à-dire : Puisque vous contestez avec Dieu, que vous vous élevez contre lui, que vous cherchez dans les saintes Ecritures tant de preuves et d'autorités pour condamner sa conduite, et que vous l'accusez de vouloir et de faire des choses injustes, vous faites voir par là que vous ayez le libre arbitre, que vous pouvez faire tout ce que vous voulez, et qu'il est en votre pouvoir de vous taire ou de parler quand il vous plaît. Car si vous êtes persuadé que Dieu vous a fait de la même manière qu'un potier fait un vase d'argile, et que vous ne pouvez pas résister à sa volonté, faites réflexion « qu'un vase d'argile ne dit pas à celui qui l'a fait: « Pourquoi m'avez- vous fait de la sorte?» car le potier a le pouvoir de faire d'une même terre, ou d'une même masse d'argile, un vase d'argile destiné à des usages honorables, et un autre destiné à des usages vils et honteux. » Mais Dieu a fait tous les hommes d'une même nature et d'une même condition; il leur a donné en les formant la liberté de faire tout ce qu'il leur plaît, et de se porter à leur gré ou au bien ou au mal; et cette liberté est si pleine et si entière qu'il y en a qui portent leur impiété jusqu'à disputer contre leur créateur et à vouloir examiner les raisons de sa conduite.