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Oratio ad Graecos
26
Παύσασθε λόγους ἀλλοτρίους θριαμβεύοντες καὶ ὥσπερ ὁ κολοιὸς οὐκ ἰδίοις ἐπικοσμούμενοι πτεροῖς. ἑκάστη πόλις ἐὰν ἀφέληται τὴν ἰδίαν αὐτῆς ἀφ' ὑμῶν λέξιν, ἐξαδυνατήσουσιν ὑμῖν τὰ σοφίσματα. ζητοῦντες τίς ὁ θεός, τίνα τὰ ἐν ὑμῖν, ἀγνοεῖτε· κεχηνότες δὲ εἰς τὸν οὐρανὸν κατὰ βαράθρων πίπτετε. λαβυρίνθοις ἐοίκασιν ὑμῶν τῶν βιβλίων αἱ ἀναθέσεις, οἱ δὲ ἀναγινώσκοντες τῷ πίθῳ τῶν Δαναΐδων. τί μοι μερίζετε τὸν χρόνον, λέγοντες τὸ μέν τι εἶναι παρῳχηκὸς αὐτοῦ, τὸ δὲ ἐνεστός, τὸ δὲ μέλλον; πῶς γὰρ δύναται παρελθεῖν ὁ μέλλων, εἰ ἔστιν ὁ ἐνεστώς; ὥσπερ δὲ οἱ ἐμπλέοντες τῆς νεὼς φερομένης οἴονται διὰ τὴν ἀμαθίαν ὅτι τὰ ὄρη τρέχουσιν, οὕτω καὶ ὑμεῖς οὐ γινώσκετε παρατρέχοντας μὲν ὑμᾶς, ἑστῶτα δὲ τὸν αἰῶνα, μέχρις ἂν αὐτὸν ὁ ποιήσας εἶναι θελήσῃ. διὰ τί γὰρ ἐγκαλοῦμαι λέγων τὰ ἐμά, τὰ δέ μου πάντα καταλύειν σπεύδετε; μὴ γὰρ οὐχ ὑμεῖς κατὰ τὸν ὅμοιον τρόπον ἡμῖν γεγένησθε, τῆς αὐτῆς τοῦ κόσμου διοικήσεως μετειληφότες; τί φάσκετε σοφίαν εἶναι παρ' ὑμῖν μόνοις, οὐκ ἔχοντες ἄλλον ἥλιον οὐδὲ ἀστέρων ἐπιφοιτήσεις καὶ γένεσιν διαφορωτέραν θάνατόν τε παρὰ τοὺς ἄλλους ἀνθρώπους ἐξαίρετον; ἀρχὴ τῆς φλυαρίας ὑμῖν γεγόνασιν οἱ γραμματικοί, καὶ οἱ μερίζοντες τὴν σοφίαν τῆς κατὰ ἀλήθειαν σοφίας ἀπετμήθητε, τὰ δὲ ὀνόματα τῶν μερῶν ἀνθρώποις προσενείματε· καὶ τὸν μὲν θεὸν ἀγνοεῖτε, πολεμοῦντες δὲ ἑαυτοῖς ἀλλήλους καθαιρεῖτε. καὶ διὰ τοῦτο πάντες οὐδέν ἐστε, σφετερίζοντες μὲν τοὺς λόγους, διαλεγόμενοι δὲ καθάπερ τυφλὸς κωφῷ. τί κατέχετε σκεύη τεκτονικὰ τεκταίνειν μὴ γινώσκοντες; τί λόγους ἐπαναιρεῖσθε τῶν ἔργων μακρὰν ἀφεστῶτες; φυσώμενοι μὲν διὰ δόξης, ἐν δὲ ταῖς συμφοραῖς ταπεινούμενοι παρὰ λόγον καταχρᾶσθε τοῖς σχήμασι· δημοσίᾳ μὲν γὰρ πομπεύετε, τοὺς δὲ λόγους ἐπὶ τὰς γωνίας ἀποκρύπτετε. τοιούτους ὑμᾶς ἐπιγνόντες καταλελοίπαμεν καὶ τῶν ὑμετέρων οὐκέτι ψαύομεν, θεοῦ δὲ λόγῳ κατα- κολουθοῦμεν. τί γάρ, ἄνθρωπε, τῶν γραμμάτων ἐξαρτύεις τὸν πόλεμον; τί δὲ ὡς ἐν πυγμῇ συγκρούεις τὰς ἐκφωνήσεις αὐτῶν διὰ τὸν Ἀθηναίων ψελλισμόν, δέον σε λαλεῖν φυσικώτερον; εἰ γὰρ Ἀττικίζεις οὐκ ὢν Ἀθηναῖος, λέγε μοι τοῦ μὴ Δωρίζειν τὴν αἰτίαν· πῶς τὸ μὲν εἶναί σοι δοκεῖ βαρβαρικώτερον, τὸ δὲ πρὸς τὴν ὁμιλίαν ἱλαρώτερον;
Traduction
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Le Discours aux Grecs de Tatien
XXVI.
Cessez de parader avec les discours d’autrui, et, comme le geai, de vous parer de plumes qui ne sont pas les vôtres. Si vous rendiez à chaque cité ce qui est son apport dans vos doctrines, vos sophismes seraient impuissants. Vous cherchez ce qu’est Dieu et vous ignorez ce que vous êtes. Vous regardez bouche bée vers le ciel, et vous tombez dans l’abime. Les exposés qui sont dans vos livres1 ressemblent à des labyrinthes, et leurs lecteurs au tonneau des Danaïdes. Pourquoi divisez-vous le temps, en distinguant entre le passé, le présent, le futur? Comment le futur peut-il passer, si le présent est? Comme ceux qui naviguent, croient, dans leur ignorance, à mesure qu’avance le navire, que les montagnes courent, ainsi vous ne comprenez pas que c’est vous qui passez, et que le temps demeure, tant que celui qui l’a fait le voudra. Pourquoi m’accuser quand je publie mes doctrines, et s’empresser de ruiner tout ce que je dis2 ? N’êtes-vous pas nés de la même façon que nous? L’organisation du monde n’est-elle pas la même pour vous et pour nous? Comment donc pouvez-vous prétendre que la sagesse n’appartient qu’à vous seuls, quand vous n’avez pas d’autre soleil que le nôtre, quand le cours des astres est le même pour tous, quand vous ne différez pas de nous par la naissance, et quand vous ne vous distinguez pas davantage des autres hommes par un genre de mort particulier? La première origine de vos radotages vient des grammairiens; vous avez divisé la science, et vous vous êtes retranchés de la science véritable, en attribuant à des hommes la désignation de chacune de ses parties.3 Vous ignorez Dieu, vous êtes en lutte les uns avec les autres, et vous vous ruinez mutuellement. Aussi tous, tant que vous êtes, vous n’êtes rien; vous savez vous assimiler les mots,4 mais vous vous parlez les uns aux autres comme l’aveugle au sourd. Pourquoi avez-vous en mains les outils nécessaires pour construire, mais ne savez-vous pas vous en servir? Pourquoi tant de discours, quand vous vous tenez si loin des actes? Enflés par la gloire, abattus dans le malheur, vos manières sont contraires à la raison: car vous ne faites que parader en public, et vous cachez dans les coins les paroles sérieuses.5 Vous sachant tels, nous vous avons répudiés; nous ne tenons plus en rien à vos doctrines; nous suivons la parole de Dieu. Homme, pourquoi susciter la guerre entre les Lettres? Pourquoi entrechoquer leurs sons comme dans un pugilat, en balbutiant à la façon des Athéniens, au lieu de parler naturellement? Si tu atticises sans être Athénien, dis-moi pourquoi tu ne danses pas aussi? Pourquoi le dorisme te paraît-il barbare, l’atticisme plus agréable dans la conversation6 ?
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Ἀνάθεσις signifie ordinairement offrande, ce qui ne peut être le sens ici. Le mot a été employé par le médecin Arétée de Cappadoce au sens de: superposition, qui est bien, avec celui de suspension, d’où offrande, le sens naturel. Je me suis demandé un moment s’il ne fallait pas traduire : amas. ↩
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La conjecture de Schwartz τὸν κόσμον ne répond en rien au sens du passage. ↩
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Tatien veut dire que les écoles portent les noms de leurs fondateurs; quant aux grammairiens. Tatien les nomme ici parce qu’ils sont les auteurs des classifications traditionnelles d’après lesquelles les diverses sciences sont enseignées dans les écoles. ↩
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Schwartz comprend: etsi eloquentiam vobis solis arrogatis; mais Harnack a bien vu que le sens est autre. ↩
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Ce passage est selon Schwartz confus et altéré par une lacune. Il est certainement obscur, quoique Kukula en dise, à cause de l’emploi qu’y fait Tatien du mot de λόγος en divers sens (si le texte ne présente pas de lacune, et je crois probable qu’il n’y en a pas en effet). J’ai accepté la ponctuation de Wilamowitz. Schwartz, qui rattache les mots juswmenoi etc. (enflés par la gloire, etc.), non à l’interrogation qui précède, mais à la phrase qui suit, sans être sûr que la séparation contraire (adoptée auparavant) ne puisse pas être défendue. Mais cela a peu d’importance pour le sens du morceau en son ensemble. Je ne crois pas que nul consente au contraire à traduire ici (= manières, attitudes) par figures de rhétorique. Une fois admis que le texte est intact, il ne peut indiquer qu’une opposition entre les discours de parade, les discours épidictiques ou sophistiques, pleins de vent, et les doctrines plus sérieuses des philosophes (que Tatien combat aussi, mais qu’il ne peut pas ne pas distinguer des sophistes), qui se chuchotent dans l’ombre et la solitude de l’école: comparez, je suppose, un Aristide et un Epictète. —Les mots ἐπὶ τὰς γωνίας font involontairement songer aux mots de Caecilius dans l’Octavius (chapitre VIII; noter que quelques lignes plus haut il est question de Diagoras, comme chez Tatien quelques lignes plus bas): latebrosa et lucifuga natio, iii publicum muta, in angulis garrula. Si l’on était certain que Minucius se fût servi, pour le discours de Caecilius, d’un discours écrit réel, contemporain, contre les chrétiens (Fronton), on pourrait se demander si Tatien ne vent pas rappeler, en le détournant de son sens et en le renvoyant aux païens, le même mot qui aurait inspiré le : in angulis garrula ↩
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Tout ceci vise manifestement la manie atticiste, caractéristique du temps des Antonins. ↩