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Mais nous , comment ne différons-nous pas de ces animaux ! Comment cela? Nous remuons ces bornes éternelles qu'avaient placées nos pères (Prov. 22. 28.) : nous joignons maison à maison et champ à champ, afin de dépouiller notre prochain. Les monstres de la mer, fidèles à la manière de vivre qui leur a été prescrite par la nature, occupent , loin des pays habités, une mer où il n'y a aucune île , en face de laquelle ne se trouve aucun continent; une mer qu'on n'a jamais parcourue1, parce que, ni le désir de s'instruire, ni aucune nécessité n'engage les hommes à tenter cette navigation périlleuse. Habitants de cette mer, ces poissons énormes, qui, par leur grosseur, si l'on en croit ceux qui en ont vu , ressemblent à de hautes montagnes, restent dans les limites qui leur sont propres, sans nuire aux îles , ni aux villes maritimes. Ainsi chaque espèce s'arrête dans les parties de la mer qui lui ont été marquées, comme dans des villes, ou dans des bourgs , ou dans des patries anciennes.
Il est des poissons voyageurs2 , qui sont envoyés dans des pays éloignés comme d'après une délibération commune , et qui partent tous, pour ainsi dire, à un seul signal. Lorsque le temps de l'aire leurs petits est arrivé, avertis et excités par une loi commune de la nature, ils sortent à la fois de divers golfes, et s'avancent en hâte vers la mer Septentrionale. Au temps de la marée montante , on voit les poissons se rassembler et se répandre comme un torrent par la Propontide, vers le Pont-Euxin. Qui est-ce qui les fait partir? quel est l'ordre du prince ? quel édit affiché dans une place publique annonce le jour du départ ? quels sont ceux qui conduisent les troupes ? Vous voyez la Providence divine qui exécute tout , et qui entre dans les plus petits détails. Le poisson observe fidèlement la loi du Seigneur; et les hommes ne peuvent obéir à des préceptes salutaires ! Ne méprisez pas les poissons, parce que ce sont des êtres muets et dépourvus d'intelligence ; mais craignez d'être plus déraisonnable que ces animaux, en vous opposant à l'ordre établi par le Créateur. Ecoutez les poissons dont la conduite est comme une voix qui vous crie : C'est pour la conservation de notre espèce que nous faisons ce long voyage. Ils ne sont pas doués de raison; mais ils ont au-dedans d'eux-mêmes une loi forte de la nature qui leur montre ce qu'ils ont à faire. Nous marchons, disent-ils, vers la mer Septentrionale; cette eau est plus douce que toutes les autres , parce que le soleil , qui v séjourne fort peu de temps , n'en pompe pas avec ses rayons toute la partie potable. Les habitons mêmes de la mer aiment les eaux douces. Aussi s'éloignent-ils souvent de la mer et remontent-ils vers les fleuves. C'est-là encore pourquoi ils préfèrent le Pont-Euxin aux autres golfes, comme plus propre à la génération et à la nourriture de leurs petits. Lorsqu'ils ont rempli suffisamment leurs voeux, alors tous ensemble ils retournent dans leur patrie. Quelle en est la cause ? apprenons-la de la bouche de ces êtres muets. La mer Septentrionale, disent-ils, est peu profonde; elle est exposée dans toute son étendue à la violence des vents , ayant peu de rivages, de baies et de rades. Aussi les vents bouleversent-ils facilement jusqu'au fond de ses abîmes, de sorte que le sable qu’ils enlèvent se mêle avec les flots. De plus, elle est froide en hiver étant remplie d'un nombre de grands fleuves. Après donc que les poissons en ont joui pendant l'été dans une certaine mesure , ils regagnent en hiver des mers plus profondes et plus tempérées. Ils reviennent dans des régions exposées au soleil ; et fuyant les vents incommodes du septentrion , ils se réfugient dans des golfes moins agités.