CHAPITRE IX
[1] Ce fut sur de tels actes de courage de la part des martyrs magnifiques du Christ que s'éteignit en quelque sorte, comme sous les flots sacrés de leur sang, l'incendie de la persécution. Alors la détente et la liberté pénétra parmi ceux qui dans la Thébaïde s'épuisaient pour le Christ aux mines de ce pays. Nous allions respirer un peu d'air pur, quand, je ne sais comment, à la suite d'une agitation, celui qui avait obtenu le pouvoir de persécuter ralluma derechef le feu contre les chrétiens. [2] Tout à coup en effet un nouvel édit de Maximin se répandait par tout contre nous, et les gouverneurs en chaque province, et en outre le chef préposé au commandement des troupes, dans des ordres, des lettres et des injonctions publiques, pressaient les curateurs de toutes les villes, ainsi que les stratèges et les employés à mener l'édit impérial à bonne fin. Ils ordonnaient de reconstruire avec tout le zèle possible les temples des idoles qui étaient tombés, et d'avoir soin que tous sans exception, hommes, femmes, serviteurs, même les enfants à la mamelle sacrifiassent, fissent des libations et goûtassent réellement des viandes consacrées par les sacrifices, que les denrées des marchés fussent souillées par des libations prises aux sacrifices, qu'avant les bains des surveillants ordonnassent à ceux qui s'y purifiaient de se 237 souiller par des sacrifices tout à fait impurs. [3] Ces ordres s'accomplirent ainsi et de nouveau les nôtres recommencèrent à être en proie comme il est naturel à une très grande inquiétude. Les païens infidèles blâmaient la dureté de ce qui avait lieu comme une chose superflue et inopportune (car tout cela leur paraissait même à eux dégoûtant et insupportable). Un très gros orage était suspendu partout et sur tous, et, une fois de plus, la divine puissance de notre Sauveur inspirait à ses athlètes une telle audace que, sans que personne les eût poussés ni entraînés, ils foulèrent aux pieds la menace de tels dangers.
[4] Trois fidèles en effet s'étant entendus, allèrent ensemble assaillir le magistrat, lorsqu'il sacrifiait aux idoles, et lui crièrent, de cesser son erreur; car il n'y a pas d'autre Dieu en dehors de celui qui est créateur et organisateur de l'univers. Requis alors de dire qui ils sont, ils confessent résolument qu'ils sont chrétiens. [5] Sur ce, Firmilien, excité au plus haut point, sans même les tourmenter par des tortures, les livra au supplice capital. De ceux-ci, le plus âgé avait nom Antonin, l'autre Zébinas et venait d'Éleuthéropolis, elle troisième s'appelait Germain. [6] Ce fut le treize du mois de Dios, aux ides de novembre, que cela fut exécuté contre eux. Ils eurent pour compagne de voyage, au même jour, En-nalhas, originaire de Scythopolis, ornée elle aussi de la couronne de la virginité. Elle n'avait pas fait la même chose qu'eux ; mais elle avait été traînée de force et présentée au juge après avoir subi les coups de fouets et de terribles opprobres. Cela lui avait été audacieuse- 239 ment infligé sans l'avis de l'autorité supérieure par un tribun des soldats établis dans le voisinage qui s'appelait Maxys, homme pire encore que son nom, d'une force extraordinaire et de toute façon réellement mauvais et décrié chez tous ceux qui le connaissaient. [7] Il dépouilla la bienheureuse de tout vêtement, de façon à ce qu'elle ne fût plus couverte que des hanches aux pieds; le reste du corps était nu. Il lui fit faire le tour de toute la ville de Césarée et, traînée ainsi sur toutes les places, il avait grand soin de la faire frapper avec des courroies de cuir. [8] Et après tout cela, elle montra encore une très courageuse constance devant les tribunaux eux-mêmes du gouverneur et le juge la livra vivante au feu. Il poussa même jusqu'à l'inhumanité sa rage contre les chrétiens et passa outre aux lois de la nature ; il n'eut pas honte de refuser une sépulture aux corps inanimés des saints.
[9] Il ordonna donc que nuit et jour on gardât avec soin les cadavres en plein champ pour qu'ils devinssent la nourriture des bêtes sauvages et on pouvait voir pendant de longs jours des hommes en grand nombre au service de cette volonté féroce et barbare. D'une part, des gens veillaient de loin, comme s'il se fût agi d'une chose importante, à ce que les cadavres ne fussent pas dérobés, et, d'autre part, des bêtes sauvages, des chiens, des oiseaux de proie dispersaient çà et là les membres humains ; [10] la ville était tout à l'entour jonchée d'entrailles et d'ossements d'hommes, en sorte que jamais rien ne parut plus cruel ni plus effroyable, même à ceux qui jusque- 241 là nous avaient été hostiles; ils ne déploraient pas tant le malheur de ceux contre lesquels on faisait cela, que l'insulte faite à leur propre nature qui est commune à tous. [11] Il y avait en effet tout près des portes un spectacle plus grand que tout discours et que tout ce qu'on peut entendre de tragique. Ce n'était pas seulement dans un endroit qu'étaient dévorées les chairs humaines ; elles étaient éparpillées en tous lieux, et c'étaient des membres entiers et des chairs et des morceaux d'entrailles qu'on raconte avoir vu manger même à l'intérieur des portes. [12] Comme cela durait de longs jours, voici le prodige qui arriva. L'air était limpide et clair, et la température de l'atmosphère très chaude. Eh bien, tout à coup, les colonnes qui dans la ville soutenaient des portiques publics laissèrent la plupart couler goutte à goutte des sortes de larmes ; puis les marchés et les places, sans qu'aucune rosée ne vînt de l'air, étaient, je ne sais pourquoi, aspergés d'eau et tout à fait mouillés. Aussi bien, en ce moment il se répandit auprès de tous, que la terre avait pleuré pour un motif mystérieux et qu'afin de confondre la nature inexorable et sans compassion des hommes, les pierres et la matière inanimée avaient versé des larmes sur ce qui se passait. [13] Je sais bien que peut-être cette parole semblera un radotage et une fable à ceux qui viendront après nous, mais non point à ceux à qui le présent a fait connaître la vérité.